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Paul Kaplan
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22 juin 2020
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Decoded Future : l'important, selon Burberry et Matchesfashion, c'est de réussir à impliquer sa communauté

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Paul Kaplan
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22 juin 2020

Ce mois-ci, l'édition annuelle de Decoded Future avait quelque chose d'inhabituel : elle n'a pas eu lieu à Londres comme prévu, mais sur les écrans des participants du monde entier. Passage au numérique réussi pour l'événement, malgré quelques pépins techniques.


Hannah Fillis (Matchesfashion) s'est entretenue à distance avec EliseNgobi (Hudson)


Organisé par la société Stylus, spécialisée dans l'analyse des tendances, l'événement réunissait des intervenants des quatre coins du monde, dont certains poids lourds du secteur, comme Mark Morris, vice-président senior chargé du e-commerce chez Burberry, et Hannah Fillis, responsable des réseaux sociaux et du numérique chez le détaillant de luxe en ligne Matchesfashion.

Mais c'est Katie Baron, directrice de l'engagement de marque chez Stylus, qui a donné l'une des présentations les plus édifiantes. Pour elle, le monde connaît une profonde mutation : désormais, les consommateurs — les plus jeunes en particulier — prennent une part active à la construction du message de la marque. Ils ne sont plus seulement des clients potentiels à qui l'on vend. Une idée qui revenait régulièrement au cours des interventions de la journée : aujourd'hui, il semble nécessaire d'impliquer davantage les consommateurs dans le fonctionnement des marques. 


Des consommateurs plus actifs



Katie Baron décrit ainsi une "nouvelle catégorie de jeunes consommateurs créatifs, attachés à leur indépendance", férus de nouveaux projets, animés par un esprit d'entreprise, qui se considèrent eux-mêmes comme leur propre marque.

Pour atteindre ces consommateurs, il est indispensable que les entreprises envisagent les choses de manière différente... très différente. Pour Katie Baron, Depop semble avoir trouvé la bonne formule, qui permet à cette catégorie de consommateurs non seulement de dépenser, mais aussi de prendre part au processus.

Cette application à mi-chemin entre réseau social et site de revente entre particuliers "a compris d'emblée cette vision du micro-entrepreneuriat. La marque est construite pour aider les abonnés à faire quelque chose d'eux-mêmes", analyse Katie Baron, avant d'énumérer quelques caractéristiques attrayantes de l'application, comme ses "studios photo" gratuits. Les chiffres parlent d'eux-même : Depop compte actuellement 30 millions d'utilisateurs dans 147 pays et connaît une croissance constante de 130 % de ses ventes depuis 2017.


Depop semble avoir trouvé la bonne formule pour impliquer ses consommateurs - Depop


On pourrait en déduire que les créateurs de l'application ont l'intention de dominer le monde — mais pour Katie Baron, c'est justement parce que Depop n'a pas du tout cette ambition qu'elle attire autant les consommateurs.

"Il s'agit de victoires à plus petite échelle, pas de viser la lune à la manière d'un Zuckerberg ou d'un Elon Musk", assure-t-elle, citant également Marie Petrovicka, responsable de l'international et de la stratégie chez Depop, pour qui "La Génération Z ne s'intéresse pas à la croissance pour la croissance. C'est l'idée de mission, l'objectif qui sont au coeur de leurs préoccupations. Le micro-entrepreneuriat explose car les jeunes se disent de plus en plus : je veux faire quelque chose par moi-même".

Une autre entreprise tire parti de ces caractéristiques spécifiques aux jeunes consommateurs : il s'agit du service d'abonnement à des boîtes de produits de beauté IPSY, qui a récemment ouvert un gigantesque espace de création de contenu à Los Angeles. "Les abonnés font une demande d'accès, avant d'être approuvés en fonction de la fréquence et de la qualité de leurs messages sur les réseaux sociaux. Ils n'ont aucune obligation de faire la promotion d'IPSY, mais la marque crée une vraie relation avec sa communauté", explique Katie Baron.

Celle-ci cite également l'exemple de Beautonomy, une entreprise "fondée sur le principe que ce ne sont plus les grandes marques ou les médias grand public qui définissent les tendances. Ici, les abonnés achètent des produits ou créent leurs propres gammes avec des emballages personnalisés, vendus sur le site et pour lesquels ils reçoivent une petite commission".

Toutes ces entreprises placent les consommateurs et les membres de leurs communautés au centre de leurs activités. Pour s'en convaincre, il suffit de se rappeler le pop-up organisé chez Selfridges par Depop pendant quatre mois l'année dernière, ou sa collaboration "vintage" avec Ralph Lauren, qui dépendaient tous deux des vendeurs particuliers et des articles qu'ils avaient achetés.


Des vies en phygital



Katie Baron souligne également l'importance des interactions entre physique et numérique dans le commerce de détail. D'ailleurs, les analystes du monde entier s'attendent à une explosion de ce concept à la fin de la crise sanitaire.

Alors que les détaillants sont confrontés à plusieurs problèmes — cabines d'essayages inaccessibles, mise en quarantaine des produits retournés —, Katie Baron cite l'exemple de Superpersonal, une application basée sur l'intelligence artificielle qui "capture le visage et les micro-mouvements de l'utilisateur et les restitue sous la forme d'une image mobile réaliste, avant de marier ce visage à un corps avec des proportions similaires". 

Quel est l'intérêt de tout cela ? "Psychologiquement parlant, il suffit de faire croire au consommateur qu'il se voit sur son écran. Plusieurs utilisations sont envisageables : essayer virtuellement des vêtements sur Internet, mélanger son image avec celle d'un mannequin sur le site de e-commerce d'une marque..."

Pour l'analyste de Stylus, si les consommateurs ne sont pas encore habitués à essayer des vêtements virtuellement, le numérique a eu un impact sur leurs expériences de marque, grâce à plusieurs innovations — parmi lesquelles les jeux vidéo.

Ainsi, selon Mark Morris, si cette année Burberry s'est engagée à fond dans les jeux vidéos "mode", c'est pour impliquer davantage sa communauté. "Au départ, on peut penser que ces jeux ne sont que des gadgets très spécifiques", concède-t-il. Mais très rapidement, le responsable du e-commerce de la marque britannique a eu la confirmation que ce n'était pas le cas, ce qui témoigne "de la façon dont les mondes virtuel et physique commencent à s'entremêler".

Effectivement, le jeu Ratberry n'a pas pour seule ambition de divertir la clientèle de Burberry. Il s'agit également d'en apprendre davantage sur les consommateurs, de recueillir leurs données et, de manière générale, d'aider Burberry à établir une relation solide avec les membres de sa communauté.

Pour Mark Morris, jouer à un jeu vidéo n'est pas incompatible avec l'idée du luxe. D'ailleurs, il ne craint pas particulièrement que l'approche de Burberry soit imitée par d'autres acteurs du secteur. "Chaque innovation perçue comme un succès est automatiquement reproduite par d'autres", explique-t-il. "Difficile de conserver longtemps quelque chose d'inédit. Autrefois, les défilés de mode étaient l'apanage du monde du luxe : aujourd'hui, même Topshop organise son propre show. Mais à mon avis, le défilé d'une marque comme Chanel n'est en rien sapé ou dévalorisé par un événement similaire organisé par Topshop".

"Les marques de luxe ont toutes compris qu'il était important de raconter leur histoire ; la seule manière de se distinguer, c'est donc dans la qualité ou l'originalité de leur message — avec Ratberry nous avons trouvé un nouveau moyen. Quand on construit un jeu vidéo pour une marque de luxe, on pense tous les éléments du jeu, tous les codes de la maison qu'on y intègre avec un très haut niveau de finition et de qualité".

Si le lancement du jeu de Burberry remonte à avant la pandémie, une autre de ses initiatives technologiques découle directement de la crise : les sessions de shopping diffusées en direct.


Cette année, le jeu Ratberry de Burberry a reçu un bon accueil


"Ça nous a semblé nécessaire au début de la crise du coronavirus en Chine", explique Mark Morris. "Les magasins ont fermé si soudainement — nous nous sommes retrouvés dans une situation difficile car les clients n'ont pas pu découvrir notre collection. C'était le bon moment pour explorer le concept du shopping diffusé en direct".

"Encore une fois, c'est quelque chose qui n'avait jamais été expérimenté dans l'industrie du luxe. On l'avait déjà vu dans d'autres secteurs verticaux comme celui de la beauté. Sur les marchés occidentaux, le concept rappelle un peu les émissions de téléachat, ce qui est peu flatteur. C'est une stratégie assez audacieuse".

La marque britannique a abordé cette méthode particulière d'engagement de sa communauté sous le meilleur angle possible, par le biais d'une collaboration avec Alibaba. Pendant l'événement diffusé en direct, on pouvait assister à un rendez-vous entre un employé du magasin et un influenceur de premier plan, autour de la collection de sacs de Burberry.

L'événement a permis de "présenter la collection d'une manière différente", là où les méthodes de marketing plus traditionnelles auraient choisi une approche simplement visuelle. "Cela a permis à notre employé de partager son enthousiasme pour le produit et nous avons été agréablement surpris par la réaction du public", se félicite Mark Morris — qui indique que l'événement a intéressé un public de 1,4 million de personnes alors que "nous avions ciblé 50 000 personnes au départ".

Pourquoi un tel succès ? "Cette session de shopping en direct a bénéficié d'un bon écosystème sur Alibaba, sur la plateforme Tmall. Nous avions intégré un service client et une prise de rendez-vous directement dans le dispositif". 

Et comme "beaucoup" de personnes se sont connectées à la session, Burberry est "désormais capable de renforcer ses liens" avec un grand nombre de consommateurs autour d'événements futurs, en utilisant les informations recueillies pendant la séance de shopping. "Non seulement nous avons obtenu leur engagement et leurs achats, mais cela nous permet également de mieux comprendre le groupe de personnes qui regardaient l'émission. C'est une réussite", se réjouit Mark Morris.

Depuis, la société a poursuivi dans cette voie en organisant davantage d'événements en direct. L'idée semble d'ailleurs séduire le monde entier : "Dès que nous avons communiqué en interne sur ces initiatives, tous les responsables des autres régions se sont mis à nous poser des questions sur leur fonctionnement !".


Être social



Au cours d'une conversation avec Elise Ngobi, directrice principale de la stratégie de marque chez Dash Hudson, spécialiste du marketing visuel, Hannah Fillis (Matchesfashion), a également souligné l'importance d'utiliser les outils technologiques et de communication de manière créative. Un bon duo pour Decoded Future, puisque que Matchesfashion utilise déjà largement les produits proposés par Dash Hudson.

Pour Hannah Fillis, les réseaux sociaux ont un rôle central à jouer. Aujourd'hui, Matchesfashion considère sa clientèle comme une communauté — bien loin de l'idée de simples consommateurs. Une vision renforcée par la pandémie mondiale.

"Cette idée a toujours été très importante, mais au cours des six derniers mois, elle a vraiment joué un rôle essentiel dans nos relations avec notre communauté, le contenu que nous produisons et nos résultats", énumère-t-elle. "Nous avons toujours cherché à savoir quels types de contenus nous devions proposer à notre public, mais surtout comment impliquer notre communauté dans ces contenus".

L'entreprise a la réputation de toujours répondre aux commentaires des utilisateurs qui "prennent le temps d'interpeler notre marque", ajoute-t-elle. "Cela contribue grandement à créer un sentiment d'inclusion".

L'inclusion est au coeur de la stratégie "sociale" de l'entreprise. "Pour nous, il ne s'agit pas de délivrer lourdement un message sur notre produit, mais plutôt des contenus que nous pensons pertinents pour la vie des gens. Avec l'arrivée du Covid-19, le contenu a beaucoup changé sur les quatre ou cinq derniers mois. On partage des contenus utiles, pertinents et attirants, qui s'éloignent des simples visuels des produits, souvent trop promotionnels".


Pendant le confinement, les réseaux sociaux de Matchesfashion ont dépassé le simple cadre de la mode, pour s'impliquer davantage dans la vie de sa communauté


Là encore, comme Burberry avec son jeu et sa séance de shopping en direct, toute cette activité ne vise pas seulement à divertir, informer et satisfaire les clients, mais aussi à apprendre à les connaître mieux — beaucoup mieux.

"Il ne s'agit pas seulement de chiffres, de mentions "J'aime" et du nombre d'abonnés", insiste Hannah Fillis. "Nous prenons en compte tous les différents paramètres pour comprendre ce que cela nous dit sur notre public, et ce qu'il veut voir".

La société utilise l'outil "Likeshop" de Dash Hudson, qui permet de cliquer directement sur les publications Instagram — Elise Ngobi salue d'ailleurs le fait que Matchesfashion ne se contente pas de "conduire les utilisateurs vers une page produit spécifique ou vers un contenu de marque. Chez Matchesfashion, Likeshop est réglé pour diriger les utilisateurs vers un portail communautaire, ce qui est, selon nous, très intelligent".

Évidemment, ce qui serait vraiment intelligent, c'est d'être capable de créer un sentiment de communauté chez ses clients, tout en réussissant à leur vendre des produits.

"Likeshop emmène votre public d'Instagram à votre site web", explique Hannah Fillis. "C'est un portail très engageant, qui crée une forte dépendance dès qu'on commence à cliquer sur les images — dont beaucoup présentent des produits distribués sur le site. Souvent, sur Instagram, on se demande : "J'adore ça, d'où ça vient ?" — cet outil nous permet d'abolir cette barrière". 

Mais un point essentiel de ce dispositif, c'est que les clients "ne sont pas obligés de faire des achats sur le portail, c'est un grand espace visuel qui permet de voir ce que les autres portent et font". 

La société se concentre également sur la communauté par le biais de podcasts et de contenus vidéo (IGTV). Pendant la période du confinement, Matchesfashion a diffusé une série intitulée "At Home". "Notre stratégie est axée sur un contenu pratique et pertinent plutôt que sur un produit spécifique", précise Hannah Fillis. "Les vidéos de cuisine et de "routines beauté" ont eu un énorme succès. Nous allons certainement prolonger cette série, elle est vraiment engageante et divertissante".

On pourrait penser que cette stratégie axée sur le sentiment de communauté au détriment du produit pourrait avoir un impact négatif sur les ventes. Mais Hannah Fillis assure que la démarche de Matchesfashion lui a permis au contraire de stimuler ses activités.

"Ce qui est génial dans le domaine des réseaux sociaux, c'est qu'on peut obtenir un retour d'information en temps réel de la part du public. Aujourd'hui, nous sommes en mesure de faire remonter à nos équipes de marketing ce qui intéresse notre communauté. Si nous nous rendons compte que l'engagement est beaucoup plus important sur, disons, les maillots de bain, nous le répercutons dans toute l'entreprise. Il est essentiel de garder à l'esprit que les réseaux sociaux sont un baromètre en temps réel de ce que désire le public."

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