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24 févr. 2023
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Yann Rivoallan (FFPAPF): "Les marques de prêt-à-porter ne sont pas condamnées à disparaître mais à se transformer"

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24 févr. 2023

Que se passe-t-il dans le prêt-à-porter? Une série de fermetures secoue l'ensemble du secteur avec des marques pourtant emblématiques, comme Kookaï, Camaïeu ou Pimkie, qui traversent une crise sans précédent. Une véritable hécatombe qui n'est pas uniquement liée au contexte inflationniste et à la hausse des coûts de l'énergie… L'émergence de nouveaux usages et le manque de remise en question de certains modèles pourraient aussi être à l'origine de ce phénomène, explique Yann Rivoallan, président de la Fédération du Prêt-à-Porter Féminin (FFPAPF). Interview.



Yann Rivoallan est le nouveau président de la FFPAPF - DR


Yann Rivoallan: La série des mauvaises nouvelles de notre secteur se poursuit et nous en sommes très tristes. Le point commun de ces marques est que toutes ont sous-investi ces dix dernières années en R&D, que ce soit en innovation produit, en digital, ou en connaissance client. Par ailleurs, ces faiblesses sont accélérées par des facteurs tels que l’augmentation des loyers, des prix de l’énergie et des salaires.
Concrètement, on ne peut s’en sortir qu’en surperformant le marché. La consolidation du secteur devient inévitable. Le coût de l’essence impacte aussi les comportements d’achat des Français: ils sont de plus en plus nombreux à limiter l’usage de la voiture pour réduire leur consommation de carburant. Résultat, la fréquentation des centres commerciaux a chuté de 12% en octobre et novembre 2022, puis de 8% en décembre, selon les chiffres de la Fédération des acteurs du commerce dans les territoires. Et, bien évidemment, le budget habillement des consommateurs est également impacté par l'inflation.

Qu'en est-il de l'état de santé général du secteur du prêt-à-porter?

YR: Les marques subissent une baisse générale d’activité du secteur. Même si les ventes ont augmenté de 3,7% à fin novembre 2022, par rapport à la même période en 2021, les ventes de vêtements en France n’ont pas retrouvé le niveau de l’année 2019. Pour être plus précis, à fin novembre, elles étaient inférieures de 6,6% à celles enregistrées avant le début de la crise du Covid-19, comme l'indiquent les chiffres de l’Observatoire économique de l’Institut français de la mode (IFM).


DR


Comment expliquer que des marques emblématiques, vieilles de près de 40 ans, comme Camaïeu, Cop‧copine, Pimkie, ou Kookaï, ferment tour à tour leurs portes?

Certains nouveaux usages, comme le seconde main, ont-ils également pu participer à cette série de fermetures?

YR: Oui, c'est évident, et je vois deux raisons au succès de la seconde main. D'abord, le contexte actuel ne peut que contribuer à accroître cette demande. Crise économique, inflation, pression sur le pouvoir d’achat et prix qui grimpent… Tout pousse à miser sur l’occasion. Par ailleurs, les jeunes générations ont développé de réelles préoccupations responsables, et font de plus en plus le choix de continuer de consommer sans trop épuiser nos ressources. L’Observatoire Natixis Payments publié début 2022 a relevé une progression du marché de +140% entre 2019 et 2021.

La crise sanitaire, puis l'inflation, et certains nouveaux usages sont mis en cause, mais l'avènement de la fast-fashion, voire de l'ultra fast-fashion, n'a-t-il pas sa part de responsabilité dans ce phénomène?

YR: Les Français sont depuis longtemps à la recherche du vêtement 'pas cher', d’abord en supermarchés puis - depuis quelques décennies - dans les enseignes de fast-fashion. Plus récemment, ils assouvissent leur recherche d’achat accessible en se procurant de la seconde main ou, malheureusement, des marques d’ultra fast-fashion telles que Shein. Notre rôle en tant que Fédération est de montrer que ces acteurs sont dangereux, et ce pour plusieurs raisons. D’un point de vue santé, il a été prouvé qu’une grande partie des vêtements de Shein contiennent des produits chimiques à des taux de concentration très élevés. D’un point de vue humain, les ouvriers travaillent à des cadences inhumaines, en moyenne 75 heures par semaine, pour des salaires de misère.

Comment expliquer qu'un tel modèle suscite autant d'engouement?

YR: La concurrence de Shein est redoutable. L’entreprise a réussi à allier l'excellence de stratégies gagnantes: une supply chain très efficace, une présence très active sur les réseaux sociaux et une très bonne expérience utilisateur. En termes de production, ils ont ubérisé le système. Ils sont capables de détecter une tendance pour la mettre en production quelques semaines plus tard.
La marque ajuste ainsi la production de façon quasi automatisée: quand un produit suscite l’attention de ses clients sur son application ou sur les réseaux sociaux et commence à bien se vendre, le rythme de production se met à jour quasiment en temps réel. Shein maîtrise aussi parfaitement le tracking et l’utilisation de la data. L’échelle à laquelle l’entreprise utilise la data est inédite: ils collectent des données via un site de e-commerce mais ils ont également mis en place des traceurs pour suivre ce que font leurs clients en dehors de leur application.

Qu'est-ce que cela signifie pour l'avenir du prêt-à-porter?

YR:  Qu’il est impératif pour certaines marques de se remettre en question! Nous conseillons notamment de miser sur la proximité. La plupart des marques de prêt-à-porter ont basé leur succès sur un grand réseau de boutiques, pour être proches de leurs clients. Les Français ne font plus autant de lèche-vitrines. Les plus jeunes clientes boudent les boutiques.
Aujourd’hui, la proximité se fait dans un premier temps sur le digital. Il faut donc aussi miser sur ce canal. Aujourd’hui, 20% des ventes se font en ligne et le consommateur veut interagir avec les marques qu'il affectionne, être un acteur de leur succès, voire les influencer. La grande majorité des consommateurs utilisent des canaux numériques avant, pendant ou après l’acte d’achat. Enfin, il faut s’engager. Qu’il soit individuel, collectif ou planétaire, intégrer l’engagement dans son discours permet aux marques de se rapprocher de leurs consommateurs et d’instaurer un véritable dialogue et une proximité avec eux, à condition évidemment que ce discours soit sincère et l’engagement réel. Les marques ne sont pas condamnées à disparaître mais à se transformer!


(ETX Daily Up)
 

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