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19 juin 2015
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Vendeurs sinophones : qui recruter pour séduire les touristes chinois?

Publié le
19 juin 2015

"Le problème pour les marques de luxe, c'est que les vendeurs chinois n'offrent pas une expérience authentique en boutique". Cette déclaration d'Emmanuel Tisseyre, vice-président business développement de DFS (groupe LVMH), qui s'exprimait dans le cadre d'une table ronde consacrée aux touristes chinois lors de China Connect en mars dernier à Paris, le rendez-vous européen des spécialistes du marketing et du numérique en Chine, pointe du doigt un phénomène de plus en plus visible dans les aéroports, boutiques de luxe, grands magasins, villages de marque et sites touristiques. Le recrutement d'une force de vente sinophone vise à tirer parti de l'affluence des touristes chinois dans l'Hexagone, sachant que les deux tiers des achats de luxe des Chinois sont effectués à l'étranger.

"On assiste à une accélération du recrutement de vendeurs sinophones auprès de nos 110 marques, qui gèrent chacune leur assortiment et leur équipe, au point que le chinois est la langue la plus parlée après le français et l'anglais, au coude à coude avec l'espagnol", indique Laurence Corteggiani, directrice marketing de La Vallée Village, le village de marques du groupe Value Retail.

Directement présent en Chine via ses villages de Suzhou et bientôt au sud de Shanghai sur le site de Disneyland dont l'ouverture est prévue au printemps 2016, le spécialiste de l'outlet voit le chiffre d'affaires généré par la clientèle chinoise augmenter de plus de 50 % par an sur son site de la région parisienne. Mise à disposition pour la clientèle chinoise d'un espace d'accueil des groupes avec un staff sinophone, personal shoppers et traducteurs à la demande, espace VIP disponible sur réservation pour les groupes, cartes UnionPay agréées, détaxe en boutique : la Vallée Village ne lésine pas sur les moyens à destination de sa première clientèle touristique, devant les Russes et les Coréens (ou le Moyen-Orient au global).

Ethno-shopping
" Les vendeurs sinophones en boutique représentent un plus indéniable, assure Laurence Corteggiani. Beaucoup sont issus de la communauté asiatique de Seine-et-Marne, car 80 % de notre personnel vient de la région", souligne-t-elle. A chaque collaborateur est proposée une "formation d'ethno-shopping", pour apprendre comment entrer en interaction avec les clientèles de nationalités différentes, et s'adapter suivant leurs spécificités, leurs attentes et leur mode de communication.
 
"Il y a trois types de populations concernées par ces recrutements sinophones : les Européens sinophones, les Français d'origine chinoise, et les natifs. Ces derniers sont largement majoritaires dans les recrutements, et dans les demandes des marques", détaille Laurent Clementz, cofondateur du site 88jobs.

Positionné depuis début 2014 en tant que spécialiste de l'emploi franco-sinophone, le site propose aussi un service de recherche de stages en Chine pour les étudiants français mais reconnaît avoir beaucoup de difficultés dans ses démarches.

Au vu des annonces publiées, l'embauche de "conseillers de vente bilingues chinois" dans les boutiques de luxe françaises semble au contraire particulièrement dynamique.  Le site organise des job fairs de vendeurs sinophones notamment pour La Vallée Village et le groupe Aelia, le franchiseur des enseignes et des concepts Duty Free & Luxury de LS Travel Retail.
 
"Un client chinois ira plus volontiers vers un Asiatique, et un natif chinois enregistre des meilleurs performances de vente qu'un sinophone européen", assure Laurent Clementz, en précisant qu'il n'y a pas de différence de salaires entre les populations et que "les marques prévoient une prime pour les langues rares." Quant aux Français d'origine asiatique, "ils ne maîtrisent pas forcément l'écrit, et il faut vérifier le type de chinois qu'ils pratiquent, car parfois ce n'est pas le mandarin".

Parmi les natifs, il existe ceux disposant de cartes de séjour de longue durée, et les étudiants. Ceux-ci bénéficient d'une procédure simplifiée de demande de visa et leur nombre - 35 000 à l'heure actuelle, selon l'ambassade de France en Chine - augmente d'année en année.
 
Formation essentielle
Originaire du Hubei, Linghao Kong, alors étudiant en Master, a ainsi travaillé un an en CDI au service détaxe de Travelex, à Roissy. Ses études achevées, soutenu par l'entreprise, il tente de renouveler sa carte de séjour en transformant son visa étudiant en visa de travail. Suite au refus de la préfecture, il est licencié.

"Mon remplacement sera rapide, les candidatures ne manquent pas, j'ai moi-même trouvé du travail en trois jours", commente-t-il, loin d'être surpris par la décision de la préfecture, estimant même qu'il "mangeait le bol de riz du voisin", expression chinoise selon lui pertinente dans le contexte économique français actuel.

"Les grandes marques savent s'adapter aux situations en proposant des contrats de petite durée aux Chinois natifs, suivant la durée de validité des titres de séjour, poursuit Laurent Clementz. Elles connaissent les procédures, et disposent d'un service dédié. En revanche, les autres maîtrisent moins l'évolution de la réglementation et sont dans des situations plus compliquées".
 
L'effet multiplicateur des ventes n'est pas garanti pour autant. Interrogée au rayon détaxe des Galeries Lafayette, une jeune juriste de Hangzhou, dans le Zhejiang, venue avec sa mère pour la première fois en Europe, parle de son expérience de shopping de luxe à Paris. Elle estime nécessaire de recruter des vendeurs parlant chinois, "mais il faut qu'ils soient formés par les marques, nous renseignent vraiment. Or nous en avons vu beaucoup qui n'étaient pas motivés, pas professionnels, probablement des stagiaires". Même impression mitigée chez un trentenaire du Guangdong, venu "en Suisse pour voir les paysages et en France pour le shopping", qui trouve que le service doit être davantage personnalisé.

Un professeur trentenaire de Shanghai apprécie l'aspect pratique de la présence de personnel chinois, "mais quel est l'intérêt de traverser la planète si c'est pour retrouver l'ambiance de Shanghai et de Hong Kong ? Où est l'atmosphère française que je suis venu chercher ? La mise en place d'un corner sinophone avec des traducteurs serait suffisante pour les clients plus âgés, et pour les jeunes, la communication en boutique est possible avec quelques mots d'anglais."
 
Au Printemps, "les clients chinois sont nombreux à demander des personal shoppers français", affirme Laurent Schenten, directeur Clients et Services du grand magasin, qui précise qu'il s'agit d'une clientèle récurrente, sensible à l'esprit français, en attente d'authenticité, de culture et d'héritage. Elle achète à Paris, non pour des raisons économiques en profitant de prix moins élevés qu'en Chine, ni pour les produits, qu'elle peut trouver pareillement en Chine, "mais pour vivre une expérience individuelle exclusive dans la capitale mondiale du luxe et de la mode".

"Nous privilégions le contact humain, chaque client doit se considérer unique, et chaque vendeur, qui doit avant tout avoir une personnalité, suit un programme de formation assez poussée au sein de la Printemps Académie". Ainsi, assure Laurent Schenten, les profils de Français ou Européens sinophones sont particulièrement recherchés. "La maîtrise d'environ mille mots de chinois permet déjà un service de qualité. Et nous n'avons aucun problème de recrutement, car le développement de la Chine ces dernières années a incité de nombreux étudiants à s'orienter vers le mandarin."

Marie-Hélène Corbin
 

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