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27 juin 2018
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Paul Szczerba (Balibaris) : "Je suis beaucoup plus manager qu’avant"

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27 juin 2018

En moins d'une dizaine d'années, la griffe Balibaris s'est imposée dans le dressing des cadres supérieurs avec son esprit chic décontracté et son positionnement prix "luxe accessible". La marque-enseigne, qui compte 45 points de vente dont 24 corners en grands magasins en France, continue son expansion. Epaulé depuis plus de deux ans par le fonds Experienced Capital Partners, Paul Szczerba (qui a cofondé la marque en 2010 en lançant des cravates en laine) détaille pour FashionNetwork.com sa vision du secteur, explique son goût pour le produit et l'intense expérience qu'est la transition du mode start-up à celui d'entreprise de plus cent personnes avec des projets internationaux. Rencontre à deux pas des bureaux de la société française, installés rue de Sèvres à Paris.


Paul Szczerba, patron de Balibaris - Balibaris


FashionNetwork.com : Première question d’actualité. Les soldes débutent. Comment travaillez-vous entre les ventes privées, les pré-soldes et les soldes ?


Paul Szczerba : En exploitant les données collectées, nous avons constaté que les personnes qui achètent en soldes rachètent plus tard hors promotions. A la base, je pensais que les gens qui achetaient en soldes n’achetaient qu’en soldes, que c’étaient des chasseurs de promotions. Pas du tout, c’est souvent une porte d’entrée pour découvrir l’ADN de la marque. Sur les soldes, j’essaye de freiner le taux de promotion. Je trouve les soldes toujours utiles pour leur fonction de base qui est de déstocker. Donc c’est très bien à condition de maîtriser sa démarque.

FNW : Et les ventes privées ?

PS: Je trouve qu’elles n’ont plus trop de sens. Il y a dix ans, cela débutait et c’était lié au fichier clients. C’est devenu global avec l’offre complète en promotion, et plutôt des grosses promotions. Les gens sont perdus. Il faut leur redonner du sens, sinon on va arriver à une structure où les mois de lancement de collection ne pèseront plus rien.

FNW : Surtout que les promotions débutent bien avant les soldes…

PS : Ces pré-soldes sont devenus un vrai rendez-vous commercial. C’étaient initialement les grands magasins qui souhaitaient réaliser du trafic sur cette période. Je pense que tout est dans la palette de l’offre. Nous on va démarquer 50 % de la collection en pré-soldes. Puis passer en soldes. Mais nous avons analysé des chiffres intéressants. En mai, durant nos ventes privées, nous avons vendu 60 % d’articles non remisés. C’est bien car cela veut dire que, si l’offre est adaptée aux attentes et au moment, le client répond présent même à plein tarif.

FNW : Cela veut dire que vous allez changer votre approche ?

PS : Moi j’aimerais bien en réduire la durée. Et le faire sur une partie restreinte de la collection pour en faire un véritable rendez-vous privilège, qui n’est plus si important que cela en termes d'objectifs. Et après les soldes et pré-soldes vient la période de déstockage. Je crois qu'il y a aussi le besoin d’apporter des nouvelles collections plus fréquemment pour créer l'appétence.

FNW : Le marché de l’homme est très disputé. Quelle est votre analyse de ce secteur ?

PS :
La saison printemps-été s'est très bien passée pour nous. On réussit d’autant mieux que d’autres acteurs du marché perdent en attractivité. Nous prenons des parts de marché. Je crois que l’important est de tenir l’accessibilité au milieu de cette offre. De super acteurs arrivent sur le segment mais sont un peu chers. Le gros défi pour nous est de maintenir notre offre accessible. Je m'explique. Si on prend par famille de produits, il y a toujours trois ou quatre catégories de prix. Pour une chemise, cela va être 105, 115, 125, 154, on a même 170 euros avec une super matière, mais c'est un test. En fait, tout est dans l’équilibre de l’offre car, s’il n’y a qu’un produit à 105 ou 115 euros et que le prix moyen augmente, le client va percevoir la marque comme de plus en plus chère. A un moment j’ai vu l’écueil arriver : quand cela se passe bien, on développe des produits qui sont tous très beaux avec toujours des petits plus mais, pour maintenir les critères de rentabilité, on augmente les tarifs. Et après on entre dans un cercle vicieux où on est déconnecté des attentes des consommateurs.

FNW : Et comment procédez-vous pour éviter cela ?

PS :
On essaye d’aller à l’inverse afin de renforcer l’offre premier prix. Nous avons la stratégie de créer de nouvelles catégories. Sur les costumes qui étaient à 595 euros, nous gardons 75 % de l’offre à ce prix, mais nous avons créé une offre à 495 euros qui est permanente et jamais remisée. C’est ensuite le travail du vendeur d’expliquer. C’est très performant en vente.

FNW :  Comment faites-vous évoluer l’offre ?

PS :
Nous avons voulu développé les tee-shirts et les sweats. Nous évitons d’accumuler les messages trop forts. Nous avons soit des chinés et des couleurs qui sont développés pour nous, et je pense que c’est un énorme élément de différenciation, soit un message très simple, comme le logo que nous commençons à institutionnaliser. On fait aussi des mini-collections dans nos collections. L’hiver prochain nous avons un thème sur le tartan, cet été c’est sur le lin. Je souhaite que nous impulsions cela. On fait aussi des séries limitées uniquement pour le net avec des séries de 350 pièces. On a commencé l’hiver dernier et nous le faisons de plus en plus.

FNW : Vous jouez beaucoup sur la rareté du produit ?

PS :
De plus en plus nous avons des produits que nous ne réassortissons pas. C’est à nous de bien anticiper mais les vendeurs sont formés sur ce sujet. Ils expliquent la situation au client. Ce qu’on ne veut pas, c’est faire du réassort pour avoir des produits soldés.

FNW : D’autres catégories sont-elles développées ?

PS :
Nous sortons une gamme de chaussures à moins de 200 euros pour la rentrée avec des souliers et des sneakers. Nous développons la maroquinerie en toile et cuir avec des sacs 48 heures. Tous les accessoires sont en toile et cuir en différents coloris pour avoir un prix accessible. Je pense que ces produits sont délaissés par les marques premium car c’est souvent cher par rapport à la collection et sans logique commerciale. Mais je crois que c’est intéressant pour pouvoir concurrencer les pure players.

FNW : Balibaris est devenu un acteur visible du secteur masculin français. Quel est votre réseau aujourd'hui ?

PS :
Nous avons 45 points de vente en France et après l’été on sera à 50. On ouvre surtout des succursales. Trois prochainement à Paris mais aussi à Lyon sur 70 mètres carrés, Cours Emile Zola, et à Bordeaux, sur le Cours de l'Intendance. Nous arrivons petit à petit à mailler la France avec des succursales. Et je pense que l’année prochaine nous aurons terminé. Mais le gros projet ce sera l’international dès l’année prochaine, avec deux ou trois boutiques à Londres en succursales.

FNW : Pour quel chiffre d’affaires ?

PS :
On va réaliser environ 30 millions d’euros cette année. On est à plus de 50 % de croissance depuis le début de l’année à périmètre comparable, et le web pèse 15% du chiffre d’affaires.

FNW : Les grands magasins sont un axe important pour vous?

PS :
Nous avons la stratégie d’avoir des concessions en grands magasins. Nous devenons un leader de ce segment. Ce qui est bien, c’est que généralement nous avons pu être mieux positionnés et que la surface s'agrandit. En province, c’est 25-30 mètres carrés. Et à Paris sur Haussmann on a jusqu’à 80 mètres carrés. Nous essayons de proposer dans les espaces parisiens des univers différents entre le BHV, le Printemps Haussmann, les Galeries Lafayette et le Bon Marché.


La boutique du centre commercial Beaugrenelle à Paris - Balibaris


FNW : Vous gardez ce concept d’avoir un format différent pour chaque boutique ?

PS :
Plus que jamais. Nous avons fait évoluer davantage le concept. A chaque fois, il y a un bureau chiné,  les lampes sont différentes d’une boutique à l’autre, les tapis également. On peut aller plus loin, dans les boutiques que l’on va ouvrir cette année, il y aura des façades radicalement différentes. Elle ne seront pas nécessairement bleu marine. Il peut y en avoir une verte, une blanc cassé…

FNW : Pourquoi ? Ce n’est pas un risque de casser la visibilité ?

PS :
C’est vrai que c’est très important pour la notoriété d’avoir des codes communs. Mais nous l’aurons par l’agencement intérieur, les typographies, la structure de façade, etc. Mais de temps en temps, en tant que client j’ai envie d’avoir des éléments vraiment différents d’une boutique à l’autre. Je pense que le modèle de la grande chaîne qui se duplique, surtout sur notre segment de prix, est un peu limité en ce moment.

FNW  : La marque de lunettes Jimmy Fairly fait ça très bien. C'est ce type d'approche ?

PS :
Cela attire l’œil, donne envie de connaître la boutique. Si cela fait un moment qu’on n’est pas allé voir la collection, cela peut aussi être un prétexte pour entrer dans le magasin et découvrir la déco... l’équipe. C’est ce que j’adore.

FNW : Et à l’intérieur vous avez toujours des références au cinéma ?

PS :
Nous avons toujours des petits clins d’œil. Soit des fauteuils que j’aime chiner, soit des petites caméras et des appareils photo. L’image est importante en général. On met de plus en plus de moyens dans les lookbooks et les contenus destinés aux réseaux sociaux. Et dans les boutiques nous affichons des tirages qualité photo d’art de ces travaux. Pour exister, une marque a besoin de montrer son univers global et pas seulement les vêtements.

FNW : A l’origine, sur le site, vous présentiez en détails l’origine du produit. Vous ne le faites plus forcément…

PS :
En fait, nous le glissons dans la description produit. Mais aujourd’hui, le mettre sous forme de carte c’est trop compliqué car nous avons beaucoup grossi. Les origines sont encore à 90% européennes, mais cela devient délicat de dire que le tissu vient d’un site, les boutons d’un atelier. Nous sommes à une échelle industrielle. Cela fonctionne avec une collection hyper réduite sur laquelle on peut détailler les nomenclatures produits. Mais après les vendeurs sont formés sur la technique des produits. Il faut qu’ils puissent expliquer ce qu’est un oxford, pourquoi un imperméable est imperméable. Cela leur donne beaucoup d’atouts. Les clients se renseignent de plus en plus en amont. Quand ils arrivent en boutique, ils ont fait une mini-étude de marché de la pièce qu’ils visent. Il faut répondre à leurs attentes.

FNW : Il y a deux ans avec l’arrivée d’Experienced Capital, vous enregistriez l’arrivée d’un profil expert sur cette partie sourcing. Qu’est-ce que cela a changé ?

PS :
Cela a été une mission pendant plusieurs mois pour faire un audit de ce qu’on faisait bien ou moins bien. Mais de manière générale, on a structuré toute l’entreprise. Nous avons une directrice de production qui est arrivée il y a un an et demi, et une directrice des achats. En parallèle du développement du réseau, c’est toute la structure du siège qui s’est étoffée.

FNW : C’est à dire ? Quel a été le changement et comment a évolué la culture de l’entreprise ?

PS :
C’était très intéressant. Nous avons beaucoup travaillé, mais c’est la partie qui m’a fait le plus plaisir. Nous sommes passés d’une start-up très polyvalente, où tout le monde est multitâche et moi en chef d’orchestre très impliqué sur chaque point avec beaucoup de juniors, à une entreprise où les juniors sont restés, mais où cela s’est structuré. Nous avons un responsable pour chaque pôle, avec son équipe. Mais avec la mise en place de process, de la responsabilisation, un comité de direction… Et pour orchestrer tout cela, Nathalie Haddad, qui venait de Sandro, est arrivée à mes côtés en tant que directrice générale. Elle s’occupe particulièrement du retail et des achats. En dessous, il y a un directeur e-commerce et marketing, un directeur retail, un directeur des achats et de l'approvisionnement, un directeur production et un directeur financier. Ce sont des dirigeants qui nous ont rejoints dans les deux dernières années.

FNW : Tous viennent du réseau d’Experienced Capital?

PS :
Pas nécessairement. Nous avons réalisé une majorité de ces recrutements via le bouche-à-oreille, par des connaissances.

FNW : Vous étiez le premier investissement d’Experienced Capital ? Quelle analyse faites-vous de cette entrée dans votre capital ?

PS :
Je pense que cela a bien répondu au cahier des charges initial. Ils sont arrivés quand la structure Balibaris était petite. La base et l’ADN sont là mais il y a beaucoup de choses à faire. Ils ont aidé pour le reporting, la structuration de l’entreprise. Cela s’est très bien fait car au bout de six mois le comité de direction était en place, les structures et formats de reporting aussi. Ensuite on rentre dans une relation plus classique et cela se passe très bien. Car un élément important à mes yeux, c’est que je voulais ça reste chez moi et que les équipes que je recrute soient mes équipes. La véritable crainte, c’est quand des actionnaires arrivent avec des experts pour structurer l’entreprise, mais en fait les experts deviennent omniscients et on se demande à quoi on sert. Et là, pas du tout. Pour l’instant, cela se passe très bien.

FNW : Votre rôle a changé. Qu’est-ce qui a évolué ?

PS : Je suis beaucoup plus manager qu’avant. J’ai appris et j’adore. Je traite avec le comité de direction et travaille sur des projets spécifiques. Le fait d’avoir une directrice générale me permet de me focaliser sur les collections. Depuis deux ans, je participe encore davantage à leur élaboration. Avant je faisais tous les essayages, tous les choix. Maintenant je fais tout de A à Z avec l’équipe du studio. Je suis aussi sur le développement, la communication, l’image et le volet financier.

FNW : Ce n’est pas compliqué de laisser parfois le volant à quelqu'un d'autre ?

PS :
C’est bien, car j’ai la vision globale de l'entreprise et des échanges avec tout le monde. Mais j’arrive aussi à passer énormément de temps sur ce qui fait aussi le cœur de l’activité. Le danger c’était d’avoir un réseau tellement grand que l’on pilote tout d’en haut mais qu’on ne connaît plus les collections. Et là c’est l’inverse qui se fait. J’arrive à passer plus de temps sur le sujet qu’au moment où ce n’était pas structuré.

FNW : Et comment gérer ce basculement ?

PS :
Il faut déjà savoir déléguer. Il faut faire confiance, former, responsabiliser. Car c’est facile de déléguer mais, si les résultats ne sont pas là, ce n’est pas bon.

FNW : Comment avez-vous géré cette arrivée de spécialistes du secteur dans la structure de l’entreprise ?

PS :
Il y a eu tous les scénarios. Nous avons eu des stagiaires qui sont restés et ont pris du galon. Et il y en a encore, ce qui est vraiment bien. Et puis il y a des juniors qui étaient top mais qui n’avaient pas forcément envie d’entrer dans quelque chose de plus structuré. Mais même si nous sommes maintenant 135 personnes, la culture d’entreprise est restée la même car il s’agit de ma culture et de mes valeurs.


 

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