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Ouïghours: la Chine déploie une campagne de réfutation

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2 mars 2021

Alors que les États-Unis bloquent les importations de coton, tissus et vêtements liés au Xinjiang, les autorités chinoises multiplient les prises de parole dans le cadre d'une campagne visant à réfuter les accusations de travail forcé de la minorité musulmane Ouïghours. Les ambassades et réseaux sociaux occidentaux sont mis à profit. Parfois sous des formes surprenantes.


L'ambassade chinoise au Royaume Uni partage des vidéos "True Stories about Xinjiang" mettant en scène une influenceuse vantant la beauté de la province polémique - China.org


Une stratégie qui passe principalement par les ambassades de l'Empire du Milieu. Celle située au Royaume-Uni relaie ainsi une série de vidéos "True stories from Xinjiang". Celles-ci suivent l'influenceuse locale Hulsidem Ablikim parcourant les paysages idylliques de la province du Xinjiang, au cœur de tensions. L'adolescente y salue une province "de paix et de prospérité", et la "gentillesse et sincérité de ses habitants", dans une mise en scène évoquant une brochure touristique.

Plus originale, et aussi plus raillée, est le dessin animé proposé par l'ambassade chinoise en France. Vêtus de costumes traditionnels dans un champ verdoyant, deux Ouïghours souriants y expliquent que "grâce à des politiques adéquates de l'État, les gens du Xinjiang se sont enrichis". Et dénonce l'hypocrisie des États-Unis également accusés de détruire l'économie locale. "Ces dernières années, les autorités locales ont tout mis en œuvre pour aider les minorités ethniques à atteindre le plein emploi", indique en outre la séquence. "Or, voilà, la joie des deux personnages est ternie par les États-Unis qui ont interdit les importations venant du Xinjiang. "Sous prétexte qu'on nous force à travailler: qu'est-ce que c'est que cette plaisanterie ?!?". 

"Chacun sait qu'au Xinjiang (sic) la production du coton est hautement mécanisée", rétorque la porte-parole virtuelle des Ouïghours. Contredisant donc le récent rapport du Center for Global Policy, précédemment évoqué par FashionNetwork.com. Ce dernier estimait qu'en 2019, sur les 6,3 millions d'acres dédiés à la culture du coton au Xinjiang, seul 1,9 million profitait de récoltes mécaniques. Et ceci alors que les hausses de salaires décidées par Pékin auraient augmenté les coûts de la récolte manuelle. Ce qui, selon le rapport, expliquerait la montée en puissance du XPCC, Xinjiang Production and Construction Corps, instance para-militaire accusée d'être au cœur du dispositif d'exploitation des Ouïghours.


La vidéo animée, dotée de voix françaises, met en scène deux Ouïghours heureux des opportunités et libertés professionnelles permises localement par le soutien de l'État - Ambassade de Chine en France


Si la communication chinoise opte pour un dessin animé, elle a déjà dû réagir à des prises de parole bien réelles de la part de Ouïghours. Après que l'auteure Ouïghour Gulbahar Haitiwaji s'est exprimée dans la presse internationale, plusieurs ambassades se sont fendues en février 2021 d'un texte visant à discréditer le témoignage de celle-ci. "De juillet à août 2012, de février à mars 2014, d’avril à mai 2016, son mari, ses filles et elle sont entrés plusieurs fois en Chine et ont tenté d’y mener des actes terroristes violents", indique le communiqué. "Après s’être rendue à l’étranger, au lieu d’être reconnaissante à la justice chinoise pour sa clémence, Gulbahar Haitiwaji n’a plus caché son caractère séparatiste et terroriste et a concocté de prétendues 'souffrances' en Chine qui sont totalement absurdes".

En effet, si la communication menée à l'international présente principalement la politique du Xinjiang comme un ambitieux plan de lutte contre la pauvreté, il transparait également un ton plus proche de ce qui parvient aux Chinois eux-mêmes. A savoir une communication plus directe sur l'intégration politique d'une minorité potentiellement hostile à Pékin. Dans une dépêche du 5 février, l'agence de presse Xinhua affirmait que le "Xinjiang n'a jamais eu de prétendus camps de rééducation". Non sans se contredire en partie en expliquant que "les centres d'enseignement et de formation professionnels (sic) établis au Xinjiang conformément à la loi étaient des établissements d'enseignement et de formation par nature, et constituaient des mesures préventives de lutte contre le terrorisme et de déradicalisation prises par le Xinjiang. L'objectif était d'éradiquer à la source le terreau du terrorisme et de l'extrémisme".

Twitter suspend l'ambassade chinoise aux USA



Le durcissement de ton de Pékin sur la question intervient à un moment stratégique, alors que s'installe un nouveau président à Washington, dont la Chine aimerait faire rapidement cesser le bannissement des productions du Xinjiang. Les États-Unis sont en effet un client clé de la province, qui représenterait 80% de la production chinoise de coton, et surtout 20% de la production mondiale, selon l'ASPI (institut australien de stratégie politique). Le rapport de l'organisme pointait en outre que le problème dépassait les frontières du Xinjiang, accusant Pékin de déplacer de vastes groupes de population dans des usines textiles d'autres provinces. Mouvements parfois relayés dans la presse locale comme autant d'efforts patriotiques, tandis que des miradors et dortoirs sont apparus sur ces sites.


Ce tweet a causé en janvier 2021 une suspension temporaire du compte Twitter de l'ambassade de Chine aux États-Unis - Chinese Embassy in US



La partie publique du bras de fer entre Pékin et Washington avait franchi en janvier un palier supplémentaire avec la suspension temporaire du compte Twitter de l'ambassade chinoise aux USA. Tête de pont de la contre-offensive médiatique, ce compte avait consacré un tweet à une étude évoquant "l'éradication de l'extrémisme" et à '"l'émancipation" des femmes Ouïghours. L'ambassade soulignant que ces femmes ne sont plus des "machines à fabriquer des bébés". Twitter a estimé que cette prise de parole allait à l'encontre de ses règles contre la "déshumanisation" des personnes. Au mois de juin 2020, alors qu'un comité des Nations Unis indiquait ses inquiétudes quant au sort des Ouïghours, Twitter avait annoncé la suppression de 170.000 comptes accusés d'être liés à Pékin dans le cadre d'une vaste opération de communication pour soutenir le gouvernement chinois.

"Les mensonges sur le Xinjiang, comme 'génocide', 'travail forcé', 'stérilisation forcée' ou 'viols et tortures systématiques' sont plus qu’absurdes", réagissait plus récemment l'ambassade chinoise de France. "Jamais de tels actes n’auront lieu dans un pays gouverné par le Parti communiste chinois. Ces mensonges sont les outils des forces anti-chinoises occidentales pour diaboliser la Chine (…). Aucun pays ayant le moindre sens de discernement n’y accorde de crédit (…). Si certains médias restaient sourds aux démentis, continuaient d’être complices des 'semeurs de rumeurs' et prenaient pour argent comptant les rumeurs et mensonges insensés, on s’interrogera légitimement sur leur respect de la déontologie, leur professionnalisme et leurs visées politiques".
 

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