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28 févr. 2022
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Olivier Bron (CEO Central et Robinson's): "En Asie comme en Europe, le grand magasin doit se réinventer"

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28 févr. 2022

Après sept années au sein du groupe Galeries Lafayette, occupant jusqu'en mai 2021 le poste de directeur des opérations du groupe, Olivier Bron relève un nouveau challenge en Asie au sein du groupe Central. Il est devenu le directeur général (CEO) du réseau des réseaux de grands magasins Central et Robinson's en Thaïlande. Pour FashionNetwork.com, le dirigeant analyse le marché thaïlandais, apprécie les atouts des marques françaises et revient sur le fonctionnement du groupe Central qui s'affirme, après avoir participé au rachat de Selfridges, comme l'un des plus grands groupes spécialistes des grands magasins au monde (KaDeWe, La Rinascente, Globus...) .


Olivier Bron lors de la présentation de sa stratégie 2022-26 pour les enseignes thaïlandaises Central et Robinson's - Central



FashionNetwork : Vous avez pris l'an dernier la tête des réseaux Central et Robinson's qui sont des grands magasins en Thaïlande. Le modèle des grands magasins subit-il les mêmes perturbations qu'en Europe et en Amérique du Nord?

Olivier Bron :
Les challenges sont nombreux. En effet, en Europe comme en Asie le constat est le même: le modèle du grand magasin doit se réinventer. Il est certain qu'avec la transformation des attentes des clients et la crise liée au Covid-19 il y a beaucoup de décès et de malades sur ce modèle. Toutefois le rôle du grand magasin se pense différemment en Asie et Asie du Sud-Est. Le commerce, en ce qui concerne les segments de marché travaillés par les grands magasins, est très polarisé. Il existe les grands malls avec des boutiques en propre et les grands magasins. Le commerce de rue n'existe pas comme dans les centres-villes européens. Le seul lieu pour le luxe et le haut de gamme en Thaïlande, ce sont donc ces grands programmes. Après, même si le PIB par habitant n'a rien à voir avec la France, les 70 millions d'habitants de la classe moyenne se renforcent et le potentiel est grand pour les Department stores. Je supervise un réseau de 74 magasins avec un potentiel similaire au réseau de 60 magasins en France pour les Galeries Lafayette. L'un des principaux challenges est que la concurrence internationale se densifie et se renforce et doit faire face à la pénétration du digital.

FNW : Quelles sont les différences avec le marché européen sur le plan du digital?

OB :
Une des modalités est la part de consommation via les réseaux sociaux, qui est beaucoup plus développée qu'en Europe. Il y a aussi de très gros acteurs en ligne avec des places de marchés comme Zalada, qui ont des modèles proches d'Amazon, et qui sont très agressifs. Tout le challenge est de moderniser les grands magasins pour les adapter aux nouvelles formes de consommation comme le social commerce. L'un des points importants aussi en Thaïlande, c'est qu'il n'y a pas la saisonnalité. Nous vendons très peu de pièces chaudes, par exemple, en textile. Un point très différent est le fait que les consommateurs en Asie du Sud sont très éduqués par rapport aux mécanismes de discount et à la promotion. Le poids de la gamification des opérations est très important, et l'approche et souvent très sophistiquée. La collecte de coupons et le jeu sont très importants. Et 85% de nos clients ont une carte de fidélité. Cela signifie que la place et l'influence de la data sont très importantes. Ce qu'il faut savoir c'est que les choses vont très très vite dans l'adaptation des comportements. Des études locales ont montré que 20% des 25-50 ans ont des cryptomonnaies. Il y a moins de frein face à l'innovation et globalement, le temps d'utilisation des smartphones et très élevé car, comme les déplacements se font en transports en commun, les gens utilisent leurs écrans. La part du mobile par rapport au desktop est donc très importante. Une énorme différence avec l'Europe c'est qu'ici 75% de l'activité digitale passe par l'app. Pour nous c'est plus une application de services dans laquelle il est possible de consommer qu'un axe direct à l'achat. Nous avons vu une croissance de 70% de nos ventes via ce canal et nous avons doublé nos ventes via le social commerce.

FNW : Et l'offre est-elle différente?

OB :
Les grands magasins européens ont eu tendance à organiser leur offre autour du produit Fashion. En Asie, les catégories sont plus équilibrées avec des ventes réparties entre la Maison, les marques d'électroménager, etc. Il y a par contre une très grande culture de la Beauté, une attention au soin de la peau. Les grands magasins sont une destination pour la découverte de marques internationales avec beaucoup de marques asiatiques, coréennes et japonaises bien sûr, mais aussi chinoises.

Sur le segment mode, il y a une clientèle très aisée qui est très avertie sur les produits de luxe. Elle possède un pouvoir d'achat très important, elle est très éduquée sur les codes de la mode et du luxe. Il y a un intérêt pour les grandes marques de renommée internationale mais les clients thaïlandais sont en attente de marques locales défendant le design Thaï. Il y a un tissu de labels très intéressant, tout comme en Europe on a vu cette attente de marques locales. Il y a aussi la tendance des marques sociales. Elles n'ont même pas de site mais une présence sur les réseaux sociaux avec Tiktok, Instagram et Facebook.  Nous leur donnons l'opportunité d'avoir un lien physique avec leurs clients.

FNW : Pour les marques françaises et européennes, est-ce que c'est un marché intéressant?

OB
: Ce n'est pas forcément le marché que les marques regardent, c'est le cinquième marché derrière la Chine, La Corée et le Japon. Les marques de luxe françaises ont déjà une forte reconnaissance pour beaucoup d'entre elles. En revanche dans le premium mode certains ont déjà une notoriété internationale, mais pour des marques plus franco-française, le challenge est de construire une notoriété, avoir un marketing adapté aux codes locaux et surtout proposer une offre qui correspond aux besoins avec les saisons et les modes de vie. Le marche de la beauté n'a pas encore atteint la maturité et les consommateurs sont à la recherche de nouveaux acteurs qui peuvent apporter de la nouveauté.

FNW : L'absence de touristes chinois touche-t-elle aussi le marché thaïlandais?

OB :
Oui bien sûr, les touristes Chinois ne sont pas revenus. Quelques Européens reviennent mais ce n'est pas comme avant. Les baisses de trafic sont conséquentes, donc nous avons des offres 'servicielles' qui sont renforcées. L'expérience et le service doivent apporter la différenciation. En Thaïlande nous avons pu renforcer de 25 à 35% l'activité avec le personal shopping. Nous renforçons aussi la part de la restauration , nous voyons quel type d'activité génère du trafic en magasin. A présent nous avons environ 15% des surfaces qui sont dédiées aux services. Plutôt que de réduire les tailles de magasins, nous avons réalloué les surfaces à des offres complémentaires. Je crois qu'il faut rester le lieu de référence dans sa zone de chalandise et en dessous d'une certaine taille de magasin, vous risquez de perdre l'attractivité. Nous avons l'avantage en Thaïlande d'être souvent propriétaire des lieux et d'avoir des coûts de main d'oeuvre plus modeste, qui nous permettent de conserver nos positions.

FNW : Echangez-vous avec vos confrères des autres grands magasins?

OB :
Au sein du groupe nous avons de plus en plus d'échanges entre les enseignes du groupe. C'est toujours intéressant de comparer nos approches, de pouvoir s'appuyer sur l'expertise de l'un sur un sujet. Pour la digitalisation des concepts nous échangeons beaucoup, nous sommes aussi en relation sur les questions de CRM, de Data. Nous n'avons en revanche pas de projet commun sur la partie opérationnelle achat car chaque enseigne à son positionnement et ses spécificités de marché. Je ne peux pas dire quels sont les projets de Selfridges car ils n'ont pas encore participé à nos échanges, mais nous sommes impatients de pouvoir avoir leur vision.

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