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Véronique DOTRAUX
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18 mars 2023
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Nouveaux développements dans l’affaire Hermès contre Mason Rothschild

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Véronique DOTRAUX
Publié le
18 mars 2023

Le métavers continue de tester les limites et les lois du monde réel. Dans ce qui est devenu une bataille existentielle entre l'art et la violation des droits d'auteur dans l'espace numérique, Mason Rothschild, alias Sonny Estival, a déposé le 14 mars auprès du tribunal fédéral du district sud de New York deux nouveaux documents dans l'affaire qui l'oppose à la maison de luxe française Hermès. L'artiste multimédia conteste l'injonction permanente lui interdisant toute création et distribution artistique et réclame un nouveau procès.


Sac Hermès Birkins - Shutterstock


Début février, le tribunal fédéral de Manhattan a conclu que les jetons non fongibles (NFT) à l’effigie du célèbre sac Birkin violaient les droits de marque d'Hermès, invoquant que ces NFT, réalisés sans l’autorisation d’Hermès, pouvaient prêter à confusion dans l'esprit des consommateurs, et a accordé à Hermès (également repris dans les documents de procédure sous les noms d’Hermès International et Hermès of Paris, Inc.) 133.000 dollars de dommages et intérêts pour contrefaçon, dilution de marque et cybersquatting.
 
Forte de son fait, la maison française a déposé début mars une nouvelle demande d'injonction permanente. Selon un porte-parole de Mason Rothschild, cette nouvelle requête vise à contraindre l'artiste à céder à Hermès tous les supports liés aux œuvres d'art MetaBirkins NFT, dont notamment le contrat intelligent MetaBirkins ainsi que le domaine de son site web et les comptes de médias sociaux associés au projet.
 
Par l'intermédiaire de son équipe juridique, l'artiste demande au tribunal de rejeter la requête d'Hermès pour plusieurs raisons exposées dans divers documents judiciaires. L'équipe juridique a également déposé un document demandant l’insertion d’une clause de non-responsabilité (ou disclaimer) imposée par la Cour par opposition à l’injonction permanente proposée par Hermès à l'encontre de l’œuvre MetaBirkin de Rothschild et des produits connexes, plutôt que de céder le contrôle de la propriété intellectuelle et des canaux tels que le site web et les flux de médias sociaux.
 
La demande décrit au passage un comportement jugé malhonnête de la part du représentant d'Hermès et des témoins experts lors du procès. L'objectif de ce propos serait d'éviter de rendre pas la proposition nulle et non avenue.

Dans cette affaire, l'artiste numérique demande au tribunal d'ordonner l'utilisation d'une clause de non-responsabilité pour la promotion et la vente de MetaBirkins afin de protéger ses droits au premier amendement (relatifs à la liberté d’expression) et les droits des propriétaires des MetaBirkins, tout en éliminant toute confusion avec Hermès. Les arguments de Rothschild sont exposés dans un mémoire.

Selon le document, l'un des aspects de cette question porte sur la référence artistique - une pratique largement établie dans les beaux-arts - qui peut accidentellement occasionner la confusion chez le consommateur, mais qui diffère d'une tentative délibérée de semer la confusion dans l'esprit du public. Pour le document adressé au tribunal, le premier amendement de la Constitution américaine protège le premier cité, même si l'artiste fait référence à une marque bien connue.
 

Twin Peaks, Federico Fellini et Prince



Plusieurs des arguments avancés se basent sur des décisions antérieures, dont le critère de preuve de confusion "particulièrement convaincante" issu de la jurisprudence Twin Peaks, qui se réfère à une décision de 1993 concernant la célèbre série télévisée de David Lynch et Mark Frost. L'affaire Twin Peaks Productions contre Productions Intern portait sur un livre écrit sur les huit premiers épisodes de la série par une personne n'ayant aucun lien avec la production. Une question de droit d'auteur s'est donc posée pour déterminer si un livre contenant un résumé détaillé de l'intrigue d'une œuvre de fiction pouvait être utilisé pour une autre œuvre de fiction. La décision a été rendue en faveur de la production Lynch/Frost.
 
L'équipe juridique de l'artiste affirme que le test Rogers, fondé sur un arrêt de 1989 ayant fait jurisprudence et utilisé pour déterminer si Rothschild avait l'intention de créer la confusion chez ses clients, n'a pas été appliqué correctement. L'affaire fait référence à un film de Federico Fellini qui mettait en scène deux personnages nommés Ginger et Fred, en référence au célèbre duo de danseurs des années 1930. L'actrice Ginger Rogers a poursuivi Fellini, affirmant que ce dernier avait violé le Lanham Act - le système fédéral d'enregistrement des marques établi en 1946 qui protège le titulaire d'une marque enregistrée au niveau fédéral contre toute utilisation similaire dès lors qu’il existe un risque de confusion ou un risque de dilution d'une marque renommée - en donnant la fausse impression que le film parlait d'elle, entre autres griefs.
 
La défense conteste également l'omission d'un témoin expert, Blake Gopnik, critique d'art de longue date pour le Washington Post et Newsweek, entre autres. Auteur de Warhol, une biographie de l'artiste pop parue en 2020, ce dernier a également été cité dans une affaire similaire de droit d’auteur artistique en cours devant la Cour suprême et concernant le portrait de l’artiste disparu Prince, dans lequel il a utilisé une photographie prise par Lynn Goldsmith, prétendument sans autorisation. Il a aussi également rédigé un article pour le New York Times sur cette affaire.


Les MetaBirkins lancés lors du Miami Art Basel 2021 - Mason Rothschild


En bref, les documents présentés par l'équipe juridique de l'artiste soulignent en outre les points suivants :

· Les instructions données par le tribunal au jury ont été structurées de manière inappropriée :

· le premier amendement n'est pas une "défense" contre les plaintes en matière de marques; il s'agit d'une règle d'interprétation qui façonne la preuve prima facie du demandeur ;

· la mauvaise structuration des instructions a porté préjudice à M. Rothschild ;

· le test Rogers est un test objectif conçu pour trancher les affaires rapidement; l'instruction sur l'intention de ce tribunal est en contradiction avec cet objectif ;

· le critère d'intention du tribunal est également en contradiction avec le droit du deuxième circuit (Second Circuit law) sur l'utilisation de la preuve de l'intention dans les affaires de marques ordinaires ;

· même en appliquant l'instruction du tribunal sur l'intention erronée, les demandes d'Hermès doivent être rejetées - les preuves ne permettent pas de conclure à une intention de créer la confusion ;

· la preuve de la confusion apportée par Hermès est insuffisante sur le plan juridique ;

· si le tribunal applique les conclusions d'Hermès, celles-ci doivent également être rejetées ;

· le tribunal est intervenu de manière inappropriée et préjudiciable dans le témoignage du Dr Neal ;

· Le tribunal a commis une erreur en excluant le témoin expert de la défense, Blake Gopnik ;

· le tribunal a appliqué à tort les critères Daubert et Kumho Tire, utilisés par un juge de première instance pour évaluer si le témoignage scientifique d'un témoin expert est fondé sur un raisonnement scientifiquement valable pouvant être correctement appliqué aux faits en cause ;

· l'exclusion injustifiée du Dr Gopnik par le tribunal a porté préjudice à Mason Rothschild ;

· les discours non commerciaux ne peuvent faire l'objet d'une action en dilution ;

· l'arrêt de la Cour suprême dans l'affaire Dastar indique que les œuvres d'art MetaBirkins de Rothschild ne relèvent pas du champ d'application de la loi Lanham ;

· l'allégation de cybersquatting d'Hermès n'est pas étayée par des preuves et n'est pas compatible avec le premier amendement.

L'artiste s'est exprimé sur ses réseaux sociaux à propos de son refus de renoncer à son œuvre, de la bataille juridique et de sa liberté d'exercer son droit au premier amendement, en particulier en tant qu'artiste. Le luxe est toutefois particulièrement litigieux lorsqu’il est question de marques. Et le choix de représenter, sous forme d'œuvre d'art, l'un des modèles de sac à main les plus emblématiques jamais vendus dans le commerce, n'était pas sans risque. Reste à voir quelle suite donnera la justice américaine à cette requête.

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