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7 sept. 2022
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Les industriels du textile face à l’angoisse énergétique

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7 sept. 2022

Avec son rendez-vous principal désormais tenu en juillet, Première Vision propose les 7 et 8 septembre au Carreau du Temple (Paris IIIe) son Fashion Rendez-Vous, réunissant 122 fabricants et studios italiens et français, mais aussi turcs, portugais et espagnols. Une édition qui s’est ouverte dans un contexte plombé par les coûts de l’énergie, dont la hausse vient s’ajouter à celle des prix des matières et du transport. FashionNetwork.com est allé à la rencontre de ces industriels, qui redoutent la suite.


Fashion Rendez-Vous 2022 - MG/FNW


"Notre contrat EDF arrive à échéance fin octobre, et on va sur plus de 500.000 euros de factures, avec un prix au kilowatt/heure qui est passé de 45 à 650 euros". Dirigeant du tisseur tarnais Jules Tournier, et président de l’UIT Sud (Union des Industries Textiles), Lionel Bonneville nous fait part d’une certaine résignation, face à l'enchaînement de défis à relever. "Pour les contrats d’énergie, là, on joue au poker menteur, en espérant une amélioration de la situation. Car on nous demande de nous engager pour 18 à 24 mois, à ces prix, c’est injouable".

L’entreprise, qui a connu en 2021 des niveaux supérieurs à ceux d’avant-crise, déplore déjà 20% de lignes de production fermées, notamment causée par du manque de personnel, malgré un carnet de commandes supérieur à la normale. Avant même que Matignon n’évoque de potentiels "délestages tournants" (coupures d’énergies forcées) cet hiver, et alors que l’exécutif lançait ce 7 septembre un groupe de travail sur la "Sobriété Énergétique" industrielle, l’entreprise de 110 salariés a déjà en tête des horaires et jours d’activité optimisés en fonction des coûts et disponibilités énergétiques. Il faut dire que la structure doit par ailleurs jouer avec les coûts et délais hors-normes liés aux matériaux. "Coton bio, Gots… Tout le monde veut la même chose, en ce moment", résumé Lionel Bonneville.

Le dentellier nordiste André Laude se retrouve de son côté, par plusieurs hasards de calendrier, dans une posture temporairement plus enviable. Ses contrats énergétiques avaient ainsi été renégociés pour trois ans juste avant la crise sanitaire, protégeant pour un temps son budget énergie. Côté matières, l’entreprise avait profité du ralentissement de 2020 pour basculer sa production vers coton bio et viscose recyclée, amenant la société à se positionner sur des stocks qui la protège des pénuries et flambées actuelles.

"Cela va durer le temps que cela durera", indique le dirigeant de la structure de 24 personnes, Jean-Pascal Laude. Il se montre très inquiet de l’impact catastrophique de la situation pour les professionnels de la teinture et de l’ennoblissement. "La dentelle doit être pré-formée et post-formée au four", rappelle-t-il, évoquant le cas des teintureries Color Biotech à Calsi et La Caudrésienne à Caudry. "C’est tout un secteur qui vit à la semaine", pour le dirigeant, qui, exportant à 80% ses productions, trouve pour l’heure son compte dans l’équilibre euro/dollar.

"Nous ne pouvons pas tout renégocier du jour au lendemain"



L’amertume est particulièrement plus prononcée du côté des exposants turcs rencontrés, et pour cause: le 1er septembre, le gouvernement d’Ankara annonçait une hausse de 50% des prix de l’électricité et du gaz pour l’industrie. Hausse venant s’ajouter aux augmentations déjà endurées, sur fond d’inflation galopante dans le pays. "Et c’est annoncé alors que nous devons lancer des productions de commandes et que nous ne pouvons pas tout renégocier du jour au lendemain", déplore Ali Riza Tanriverdi, directeur marketing du tisseur Hisar Tekstil. "Il ne reste plus de marges sur lesquelles prendre pour compenser cette hausse soudaine des coûts", indique le responsable. Il pointe par ailleurs que le rapport Euro-Dollar ajoute de la complexité à la situation, avec des matériaux négociés en dollars en Égypte ou en Inde, et des productions ciblant la zone Euro.

"On a clairement tous été pris au dépourvu par l’ampleur des variations de coûts" résume, du côté des exposants italiens, Giovanni Nav. Ce dernier pilote le développement commercial de SEM, division du grand groupe italien Miroglio, fort de 3.500 collaborateurs. "On a des factures d’énergies multipliées par 3 ou 4, et qui se chiffrent maintenant en millions d’euros. Les clients comprennent, mais ne suivent pas toujours. Et pour ne rien arranger, le prix des matières a augmenté. De toutes les matières: coton, viscose, polyester…" pointe le responsable, évoquant par ailleurs l’impact des délais d’approvisionnement allongés. Informé des coupures de courant envisagées en France, le professionnel grimace d’effarement. "Impossible: arrêter les usines, c’est arrêter l’économie !"


Fashion Rendez-Vous 2022 - MG/FNW


Des restrictions, certains en France en ont pourtant déjà connues cet été, mais sur l’eau, comme nous le rappelle Joël Sablon, agent parisien du lyonnais Côté Textile. "Il nous a été demandé de réduire notre consommation, ce qui a conduit par exemple à concentrer la consommation sur trois jours par semaine", explique le commercial. Face aux hausses de coûts, le spécialiste de la teinture et finition a ajusté ses coûts, en prenant en partie sur ses marges. "Comme nos clients sont dans la même situation, ils comprennent", estime Joël Sablon, qui évoque par ailleurs l’impact du cours du dollar sur le prix des matières. "Et notamment les écrus".

"Une taxe énergétique nous semble la meilleure solution"



Progressivement devenue la star du textile-habillement Made in Europe, la filière portugaise n’échappe par ces turpitudes. L’engouement pour les productions ibériques, qui se doit notamment aux prix pratiqués, est logiquement mis à mal. "On a essayé de ne pas répercuter, tout en allant vers une montée en gamme de nos productions", explique Gonçalo Gomes, qui représente en France et Italie l’entreprise Fitecom. Basée à Covilha, celle-ci opère de la filature à la finition. "Pour les surcoûts d’énergie, une taxe énergétique nous semble la meilleure solution, car elle permet de rapidement adapter les prix des commandes à l’évolution des prix", estime le représentant.

Redoutant les délocalisations que pourraient causer la crise énergétique, la confédération européenne Euratex appelait récemment à une réponse coordonnée des états européens. Mais, du côté de la filière cuir tricolore, les professionnels s'interrogent sur leur capacité à pouvoir engager des négociations groupées aux niveaux locaux.


DR


"Les annonces du Gouvernement ne sont pas très positives, et c’est donc peut-être collectivement, avec les pouvoirs locaux, qu’il faudrait avancer", explique Sophie Hivert, présidente de la FFTM (fédération française de la tannerie-mégisserie). Elle pointe l’importance de l’énergie notamment pour le séchage des cuirs. "Tout le secteur se pose beaucoup de questions. A cette heure, tout l’enjeu est d’arriver à suivre l’évolution de la situation pour s’organiser. Notamment face à de potentielles coupures".

Plus encore que l’énergie, la visibilité est en effet devenue une ressource rare pour la filière textile.
 

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