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Le Festival de Hyères s’interroge sur l’ère post-Colette

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2 mai 2018

Avec la fermeture fin 2017 du célèbre concept store Colette se pose la question de son héritage. Qui va prendre le relais de cette enseigne qui fut pendant 20 ans une véritable vitrine de la création et l’ambassadrice d’innombrables jeunes marques ? A l’occasion du Festival de Hyères, les 18èmes Rencontres internationales de la mode organisées par la Fédération de la haute couture et de la mode ont tenté d’apporter une réponse au cours d’un débat passionné, au titre péremptoire : « Avenir du retail, il y a bel et bien un après Colette ».

La table ronde dédiée au retail dans le cadre des Rencontres internationales de la mode - FashionNetwork.com ph DM


Une idée forte a émergé de la conférence : sans passion, rien ne se réalise. Comme l’a résumé Sébastien de Hutten, le directeur des salons Playtime, « tant qu’il y a de la passion, l’expérience client continuera de se créer dans la boutique ». « Finalement un détaillant d’exception ne fonctionne que s’il y a une sélection forte mise en place par une personnalité. Cela a existé avant Colette et continuera après. »

Sans doute, la disparition de l’enseigne va permettre de redistribuer les cartes entre les boutiques multimarques déjà existantes et les grands magasins, prêts à endosser de plus en plus le rôle de vitrine pour les jeunes talents.

Alix Morabito, promue en 2016 dans la nouvelle fonction de Fashion Editor au sein des Galeries Lafayette, confirme cette tendance. « Nous avons un enjeu, car nous sommes nous aussi une marque dont le rôle est de révéler également l’énergie de la nouvelle création. Le problème, c’est que sur 45 000 m2, très peu d’espace était consacré jusqu’ici aux jeunes designers, car ils n’ont pas les moyens de se payer un corner. Nous avons donc créé des espaces multimarques moins coûteux, en rabaissant nos exigences financières vis-à-vis des jeunes. On peut les référencer, encore faut-il les faire connaître. »

D’où le rôle de la fashion editor, qui est celui de « nourrir les équipes sur les marques et les tendances de mode pour créer des histoires en magasin ». « Ce n’est pas juste de chercher des marques. Il faut aussi qu’elles fonctionnent dans l’air du temps, dans notre communication et dans notre magasin. Les jeunes créateurs, c’est ce qui va créer la différence par rapport aux autres grands magasins », souligne-t-elle.

Il est rare toutefois que les grands magasins jouent le rôle de détecteurs de talents. Pour atténuer leurs risques, les enseignes regardent le plus souvent en effet si les stylistes émergents sont déjà référencés. « Si c'est le cas, cela signifie qu’ils sont déjà organisés pour les livraisons. Le premier critère, c’est l'émotion, bien sûr. Mais la difficulté, c’est de comprendre si cette émotion va perdurer. Le créateur doit s’inscrire dans le marché et l’offre globale », rappelle Alix Morabito.

Ce risque, les boutiques sont plus enclines à le prendre. « Avec ma femme, nous avons investi à perte pendant 10 dans la création avant que notre boutique devienne rentable. Certes, nous achetions régulièrement des pièces très créatives qui étaient invendables, mais c’était une forme d’investissement en image et communication », explique Rasmus Storm, le fondateur du multimarque pointu de Copenhague Storm.

A gauche, Rasmus Storm - FashionNetwork.com ph DM


« A travers le travail d’un jeune designer en lequel je crois, je donne mon point de vue, je me projette dans le temps. Les gens viennent en boutique car cela les inspire et me permet au final de faire du business », poursuit le détaillant, qui a été le premier en Europe avec Colette à vendre Off-White, le label de Virgil Abloh… nommé récemment à la tête des collections masculines de Louis Vuitton.

« Les grandes marques devraient défendre des boutiques comme la nôtre ! Lorsque l’on voit ce que Colette a fait pour la mode… C’est chez nous que viennent les jeunes consommateurs en quête d’expériences. Nous sommes davantage à l’écoute du marché », s’emporte-t-il.

« Le détaillant a un rôle d’influenceur, mais aussi d’éducateur », lui emboîte le pas Olivier Amsellem, photographe et fondateur il y a trois ans du concept store marseillais Jogging. « J’organise en boutique des apéritifs en présence des designers. Les gens ne sont pas rivés à leurs écrans, ils aiment aussi toucher les vêtements. La mode, on peut l’acheter partout. Mais si vous le faites avec une certaine ferveur et saveur, vous vous en rappellerez toujours. »

Le Marseillais connaît à fond les designers qu’il vend et leur travail, présentant l’ADN de chaque marque. « Dans le cas de Julien David, évidemment, je mets en avant sa collaboration avec Colette, car les gens se sentent orphelins de Colette », confie-t-il.

Le styliste français, qui a débuté en 2008 avec une petite collection de foulards, s’est lancé en démarchant lui-même les boutiques. « Mon premier rendez -vous était à Paris avec Sarah Andelman. Elle m’a acheté 40 foulards. Ce premier client, qui était Colette, m’a tout de suite donné un gage de crédibilité auprès des autres », se souvient Julien David, qui fabrique toute sa collection au Japon, où il a ouvert depuis une boutique en propre.

La collaboration s’est renforcée au fil des collections entre Sarah et Julien. « Quand elle aimait ce que je faisais, cela me donnait un peu le thermomètre de ce qui allait plaire et a clairement influencé mon travail au fur et à mesure », conclut le créateur, aujourd’hui distribué dans le monde entier. C’est sans doute ce rôle de guide et de référence unique incarné par Colette qui manquera le plus à la jeune création dans les mois à venir.

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