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Paul Kaplan
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21 août 2018
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La catastrophe du pont de Gênes tourne les regards vers les Benetton

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Reuters
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Paul Kaplan
Publié le
21 août 2018

À mille lieues des tricots aux couleurs vives qui ont fait la gloire de Benetton, le choix stratégique du groupe italien, qui a choisi d'investir dans le secteur des infrastructures, est devenu objet de controverses après la catastrophe du pont de Gênes ce mois-ci.


Dernière campagne Benetton Automne 2018 par Oliviero Toscani


La diversification stratégique des Benetton, conçue pour contrebalancer le déclin de leur marque de mode éponyme, a été richement récompensée ces dernières années. Mais l'effondrement du pont de Gênes, géré par une unité d'Atlantia, société contrôlée par Benetton qui construit et gère la plupart des autoroutes italiennes, a déclenché une crise sans précédent pour sa filiale, alors que le gouvernement s'apprête à révoquer ses concessions et évoque de probables mesures de rétorsion. Lundi, les actions Atlantia ont baissé de plus de 7 % et d'environ 28 % depuis la catastrophe.

Deux décennies après l'investissement des Benetton dans le secteur des infrastructures, Atlantia - et les entreprises connexes comme le groupe de restauration autoroutière Autogrill - génèrent beaucoup plus de valeur que la marque de mode pour la société familiale d'investissement, Edizione.

Edizione, qui regroupe également d'autres participations, des banques à l'immobilier, pesait près de 13 milliards d'euros l'an dernier, dont plus de la moitié provenait de sa participation de 30,3 % dans Atlantia.

L'appétit pour le domaine des infrastructures n'a pas diminué depuis : la fratrie Benetton - dont l'entreprise de mode a commencé avec une ligne de pulls tricotés main au milieu des années 1960 - cherche à conclure un accord conjoint de 18 milliards d'euros entre Atlantia et ACS en Espagne pour acheter l'opérateur routier espagnol Abertis.

Les déclarations fiscales d'Edizione précisent que le secteur des infrastructures a représenté 67 % de ses revenus en 2017, bien plus que les vêtements, qui représentent 8 %.

Coup d'éclat

Le déclin des activités mode de Benetton a commencé à la fin des années 1980, lorsque la société fondée par Luciano, Giuliana, Gilberto et le regretté Carlo a été confrontée à la montée en puissance des grands rivaux de la fast-fashion comme Zara (Inditex).

Cette régression a coïncidé avec une vague de privatisations en Italie à partir du début des années 1990, permettant aux Benetton de s'emparer du secteur autoroutier italien, en commençant par un tronçon de ce qui était alors Autostrade, peu à peu étendu bien au-delà du réseau routier vieillissant italien.

Ces incursions dans le domaine de l'infrastructure ont certes connu quelques difficultés, d'autres investissements n'ayant pas toujours été rentables. Une enquête antitrust a été menée pour déterminer si le secteur des routes payantes favorisait Autogrill pour ses concessions de restaurants, une idylle passagère avec Telecom Italia s'est soldée par des pertes, et Atlantia a dû abandonner une tentative de fusion avec Abertis, face aux nombreux obstacles dressés par le gouvernement italien.

Malgré tout cela, le chiffre d'affaires d'Atlantia a triplé depuis 2000, date à laquelle les Benetton ont acheté l'entreprise, entretenue par des acquisitions de routes payantes du Brésil à la Pologne et, plus tard, par une incursion dans les aéroports en Italie et en France. 

Edizione a également bénéficié de sa proximité avec des investisseurs influents d'Atlantia, comme le fonds souverain GIC à Singapour. « Cet investissement a eu d'importantes retombées monétaires ; autre avantage, la forte présence d'investisseurs étrangers au capital d'Atlantia », explique Andrea Colli, professeur d'histoire des affaires à l'Université Bocconi en Italie et auteur d'un livre sur le groupe Edizione.

Mais aujourd'hui, la catastrophe du pont de Gênes éveille l'attention sur le rôle et l'influence de la famille dans le pays, qui vient de se doter d'un nouveau gouvernement « anti-establishment ».

« Les Benetton sont le bouc émissaire le plus évident », commente Jonathan Mantle, auteur d'un livre sur la famille.

Le chef du Mouvement 5 étoiles au pouvoir, le vice-premier ministre Luigi Di Maio, a déclaré la semaine dernière que son administration était la première à ne pas avoir reçu de donations politiques de la part des Benetton et que cela lui permettait d'agir plus librement contre les intérêts de la famille.

Une source proche du dossier a pourtant déclaré qu'Edizione n'avait fait aucun don politique direct aux partis politiques italiens.

Le groupe Edizione a assuré jeudi qu'il ferait tout ce qui est en son pouvoir pour soutenir l'enquête sur l'effondrement du pont de Gênes. Samedi, jour des funérailles d'État organisées pour certaines des victimes, la famille Benetton a publié une déclaration séparée, exprimant sa « douleur profonde » face à la catastrophe. « En ce jour de deuil, nos pensées se tournent vers tous ceux qui ont connu et aimé l'une des victimes de la tragédie de Gênes », dit le communiqué.

Autostrade per l'Italia, l'unité d'Atlantia en charge de la gestion du pont, s'est également engagée samedi à le reconstruire, avant de déclarer qu'elle mettrait 500 millions d'euros à disposition pour encourager la reprise d'activité après le sinistre.

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