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En Chine, des ruraux culottés ont édifié la "capitale de la lingerie"

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AFP
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26 avr. 2021

Des tracteurs aux culottes sexy: une région agricole de l'est de la Chine cultivait depuis des décennies blé et riz, avant de devenir aujourd'hui la "capitale de la lingerie" et d'exporter dans le monde entier.


Des employées d'une usine de lingerie, le 25 mars 2021 à Guanyun, dans l'est de la Chine. - AFP/Hector RETAMAL


Les Américaines préfèrent paraît-il les dessous affriolants, les Européennes misent sur l'élégance et les Chinoises, certes encore un peu timides, commencent à s'encanailler... c'est en tout cas ce qu'on raconte dans les rues de Guanyun.

Ce petit district de la province du Jiangsu (est) a longtemps vécu au rythme des semailles et des récoltes. Mais son attention se porte depuis une dizaine d'années sur les préférences mondiales en matière de sous-vêtements.

Autoproclamé "capitale de la lingerie" en Chine, le district vit désormais au son des machines à coudre, qui ronronnent dans des ateliers situés à proximité des champs de blé. Elles satisfont près de 70% de la demande chinoise -- en forte croissance. Des millions de soutiens-gorge et culottes partent également à l'export.

Le pionnier de cette révolution industrielle locale s'appelle Lei Congrui, un longiligne gaillard de 30 ans coiffé d'une queue de cheval, d'une casquette et aux allures de skateboardeur. Il y a 15 ans, encore adolescent, ce futur roi de la culotte a commencé à gagner de l'argent en vendant divers produits sur des sites chinois de commerce en ligne alors en plein boom.

"Pas mal de clients me demandaient si on avait de la lingerie. Moi je n'avais jamais entendu parler de ça, alors j'ai juste répondu 'oui' et puis j'ai cherché ce que c'était", raconte-t-il en souriant.

Pas de porno



Lei Congrui emploie désormais plus de 100 personnes qui confectionnent culottes et autres bustiers noirs et rouges en dentelle. Vendus sous diverses marques comme "Midnight Charm" ("Les charmes de minuit"), ses produits représentent un chiffre d'affaires de plus d'un million d'euros par an.

Selon les autorités de Guanyun, quelque 500 usines y emploient désormais des dizaines de milliers de personnes et produisent pour plus de 250 millions d'euros de lingerie par an. Un succès en partie lié aux changements de mœurs en Chine. La culture traditionnelle recommande la pudeur. Le tournage ou la diffusion de films pornographiques sont interdits. Et les autorités sévissent régulièrement contre les contenus en ligne jugés "vulgaires".

Mais l'ouverture progressive du pays depuis 40 ans aux influences occidentales a entraîné une certaine libération sexuelle, particulièrement au sein de la jeune génération. D'après le cabinet chinois iiMedia, les ventes en ligne de produits liés au sexe ont augmenté de 50% en Chine en 2019, à 7 milliards de dollars (5,8 milliards d'euros).

La plupart des acheteurs étaient autrefois des trentenaires ayant vécu ou été en contact avec l'étranger. Mais depuis 2013, les ventes bondissent avec l'émergence de jeunes consommateurs davantage à l'écoute de leur sensualité. L'essentiel des clients sont aujourd'hui âgés de 22 à 25 ans.

Et si les sous-vêtements amples et discrets étaient autrefois privilégiés en Chine, ce sont désormais les modèles semi-transparents et "moulants" qui prédominent, souligne M. Lei.

"S'amuser"



Mais la révolution des mœurs à Guanyun ne s'est pas faite en un jour. "Au début, lorsque les gens d'ici ont vu ces trucs pour la première fois, ils n'ont pas vraiment compris", explique en souriant Chang Kailin, 58 ans, patron d'une usine et oncle de M. Lei.

"Mais les gens ont vu qu'avec ça, ils pouvaient faire de l'argent et sortir de la pauvreté", raconte-t-il. "Du coup aujourd'hui, tout le monde aime la lingerie!"

Lei Congrui dit exporter 90% de sa production, principalement vers les Etats-Unis et l'Europe. Les acheteurs du Moyen-Orient préfèrent les sous-vêtements couvrants, les Africains les modèles plus colorés et l'Asie du Sud-Est est un marché en pleine croissance, souligne-t-il.

L'essor de la lingerie a permis d'élever nettement le niveau de vie à Guanyun. Une richesse qui s'affiche dans les nouvelles maisons et voitures des habitants.

Autre avantage: plus besoin de quitter la campagne et d'aller travailler dans des usines situées dans des métropoles à des centaines de kilomètres. "Loin de chez soi, on a le mal du pays. Ces entreprises de lingerie nous permettent de travailler près de chez nous", se félicite Li Yue, une ouvrière mère de deux enfants.

Et Guanyun prend soin d'alimenter la poule aux œufs d'or: une zone industrielle de quelque 700 hectares est en construction, avec notamment un centre de recherche et un pôle logistique.

Seule contrariété à l'heure actuelle: l'épidémie de Covid-19, qui freine les ventes à l'étranger, regrette Lei Congrui. "Mais une fois ce problème résolu, les gens voudront à nouveau s'amuser", explique-t-il avec le sourire.

Par Dan MARTIN, à Guanyun (Chine), le 25 avril 2021 (AFP)

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