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En Russie, les jeunes créateurs à la recherche du fil rouge de l'Histoire

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14 déc. 2018

Moscou, 14 décembre 2018 (AFP) - Dans son petit atelier sous les toits de Moscou, Maria Andrianova se concentre pour réaliser un point de couture appris auprès de femmes âgées en Carélie, région forestière du nord-ouest de la Russie : « Pour moi, coudre, c'est une façon de renouer avec mes origines. »


Le créateur Youkhan Nikadimus brode perle après perle une "kokochniki », coiffe traditionnelle du folklore russe, dans son atelier de Moscou le 28 août 2018 - AFP


Créatrice de la ligne de vêtements « Masha Andrianova », cette femme de 31 ans conçoit des vêtements « pour le monde moderne » avec des techniques anciennes, qui datent parfois de l'époque tsariste, avant la Révolution de 1917.

« En Carélie, des habitantes m'ont montré une façon de coudre que je ne connaissais pas, qu'elles avaient apprise de leurs mères, cela ressemblait à un secret de famille », raconte Maria à l'AFP, tout en tressant deux fils d'un geste aérien.

Comme elle, de plus en plus de jeunes créateurs de mode s'inspirent des méthodes traditionnelles russes tombées en désuétude pour se démarquer de la mode occidentale, qui a déferlé dans le pays dans les années 1990 après la chute de l'URSS.

« On ne veut plus regarder ce que font les autres, en Occident. On veut retrouver nos propres méthodes (de couture), car nous aussi nous avons de nombreuses traditions et une culture très riche », explique la couturière trentenaire.

Pour beaucoup de jeunes Russes, habitués à une histoire faite « de ruptures et de révolutions », cette quête peut permettre « de retrouver ses racines », confie-t-elle.

Elle s'inspire ainsi des croquis de son aïeul qui possédait une usine de tissage, mais aussi de son arrière-grand-mère, à la tête d'un atelier à l'époque tsariste, et des techniques de sa grand-mère, petite main sous l'URSS. « Quand je couds, j'essaie de mieux comprendre notre passé, c'est ma façon d'intégrer des morceaux d'histoire dans notre monde contemporain », souligne-t-elle. « Mais il ne s'agit pas de faire de la restauration d'habits anciens : je crée des vêtements modernes, qui portent cette histoire russe en eux. »

« Processus naturel »

A 35 ans, Youkhan Nikadimus a décidé de se consacrer à la création de « kokochniki », des coiffes traditionnelles issues du folklore russe et qui ont connu leur heure de gloire sous le tsar Nicolas Ier. Dans une usine fondée au 16e siècle et rebaptisée « Lénine » à l'époque soviétique, ce grand costaud à la barbe bien taillée brode perle après perle sur une toile tendue entre quatre bouts de bois, avec une attention presque monacale.

S'il puise son inspiration auprès de photos d'archives, le créateur affirme que ses « kokochniki », dont certaines atteignent 20 cm de diamètre, peuvent s'intégrer dans une garde-robe contemporaine. « On peut porter une "kokochnik" avec une robe de mariée moderne par exemple », indique-t-il, tout en déconseillant d'aller avec au cinéma, pour ne pas fâcher les spectateurs des rangs derrière...

« Les costumes nationaux ne doivent pas être quelque chose de figé », plaide-t-il. « De nouvelles techniques apparaissent, il faut les incorporer, c'est un processus naturel. »

« Introspection »

Pour Ilia Oskolkov-Tsentsiper, fondateur de l'Institut Strelka, observatoire des tendances, ce regain d'intérêt des jeunes créateurs russes pour les méthodes anciennes du pays était « presque inévitable ». « Pendant la Perestroïka (à la fin des années 1980) et les décennies qui ont suivies, les Russes étaient fascinés par l'Occident et tout ce qui venait de là-bas ». « Nous avons alors sous-estimé la valeur de ce que nous avons (en Russie) et surestimé la beauté de ce qui existait ailleurs », estime-t-il. « Maintenant, nous vivons une période d'introspection : nous essayons de comprendre qui nous sommes, ce qui forge notre identité et ce qui la rend unique. »

Cette tendance ne vaut « pas seulement dans la mode, c'est bien plus profond, cela touche le design, la musique, les films. Cela va au-delà de la politique », remarque-t-il.

A Ivanovo, une située à 300 km au nord-est de Moscou et connue pour être l'épicentre de l'industrie textile russe, Maxime Krylov, 28 ans, espère aider les jeunes créateurs russes à renouer avec le patrimoine russe si longtemps délaissé : il a créé un festival annuel pour notamment remettre au coeur de la mode les tissus traditionnels russes.

« C'est notre devoir: nous voulons préserver cet héritage pour qu'il inspire le design russe, pour dire à l'industrie mondialisée que nous avons notre mode à nous, russe et locale », explique-t-il à l'AFP.

En juillet, des créateurs ont ainsi travaillé à partir de tissus inspirés par la propagande soviétique, trouvés dans les archives des usines d'Ivanovo, raconte-t-il.

Jeune Moscovite de 29 ans, Vassilina Kharlamova fait partie de ces Russes qui cherchent désormais à « porter des habits liés à (sa) culture ». Elle vient de commander une robe à Maria Andrianova, qu'elle compte « porter avec des baskets dans la vie de tous les jours ». Elle reconnaît que ces créations ne correspondent pas à tous les publics : « Il faut savoir aimer ces vêtements, comprendre (...) ce passé. »

Par Anaïs Llobet

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