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3 mai 2023
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Cordonnerie: un métier boosté par les enjeux de durabilité

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3 mai 2023

Réparer, prolonger la durée de vie, remettre à neuf aussi bien les souliers en cuir que désormais les sneakers, la cordonnerie sait tout faire et entend bien le faire savoir. À l’heure où l’économie circulaire occupe une place centrale, loi «Anti-gaspillage pour une économie circulaire » (AGEC) oblige, la filière revient sur le devant de la scène.


Jean-Pierre Verneau, cordonnier au Mans depuis 28 ans, est Président de la Fédération Française de la Cordonnerie Multiservice. Photo : CNC -


“Ce métier ancestral a évolué malgré les modes et la disparition d’autres savoir-faire, rappelle Jean-Pierre Verneau, Président de la Fédération Française de la Cordonnerie Multiservice, mais également cordonnier au Mans depuis 28 ans. Après les talons à aiguilles dans les années 60 et la mode des talons fins, le remplacement du cuir par le plastique et depuis les années 80 la fabrication de chaussures à bas coût et non réparables importées de pays lointains, le métier a connu une chute importante de son effectif. Nous sommes ainsi passés d'environ 9.000 cordonniers à seulement 3.500 aujourd’hui. Pour autant, on perçoit un véritable regain d’intérêt pour nos services qui sont revenus au goût du jour et deviennent quasi incontournables.”.

Ainsi, invités l’an passé aux Rencontres du Cuir, qui se sont déroulées au sein de la cordonnerie de Jean-Pierre Verneau, en présence de Frank Boehly, Président du Conseil National du Cuir, la cordonnerie et ses savoir-faire prouvent qu’ils sont un maillon essentiel pour répondre aux allégations environnementales. De fait, la Fédération Française de la Cordonnerie Multiservice a rejoint l’éco-organisme Refashion, consacré à la Filière Textile d’habillement, Linge de maison et Chaussure. Ce dernier, qui assure pour le compte de plus de 5.000 entreprises la prise en charge de la prévention et de la gestion de la fin de vie de leurs produits mis sur le marché grand public, revalorise notamment les métiers de la cordonnerie et de la retoucherie et encourage les marques et les distributeurs à proposer des services ou des options de réparations à leurs clientèles.


Galoche & Patin propose un service de cordonnerie 100% digital.

   
Rallonger la durée de vie d’un soulier, voilà tout l’enjeu du moment.
Précurseur, au printemps 2020, à Paris, la start-up Galoche et Patin a eu l’idée de revaloriser et moderniser le métier de cordonnier que la mode du jetable a mis à mal. Ainsi, Sébastien Matykowski et Henri de La Porte ont imaginé un service de cordonnerie 100% digital qui conserve l’esprit artisanal du métier. Derby, chaussures à talons, mais aussi baskets, chaussures d’escalade et même maroquinerie, en un clic, le service nouvelle génération collecte les articles à l’endroit de son choix sur rendez-vous (domicile, bureau) et les restitue réparés et entretenus en direct sur Paris et la première couronne et via messagerie UPS ou Chronopost en France. "Notre activité entre 2022 et 2023 a été multipliée par 4 pour un panier moyen cordonnerie (hors maroquinerie) de 110 euros, confie l’entreprise. Nous développons l'activité B to B et plus de 30 marques et services font aujourd’hui appel à nos services pour la réparation et l’entretien.".

Le service Bichonnage chez Bocage.


En parallèle, les marques développent également leur propre service. C’est notamment le cas de Bocage qui a mis en place un service de bichonnage auprès de ses clients depuis octobre 2021. Nettoyage, remise en forme et atténuation des plis d’aisance, soin de la matière et cirage mais aussi hygiénisation sont les étapes clés de cet entretien proposé au prix de 6 euros par paire. Effectué par les conseillères de ventes, formées par Les Compagnons du Devoir, le service, depuis son lancement, a déjà permis de bichonner plus de 2.700 paires de chaussures.

Récemment, c’est la griffe italienne de chaussures et de vêtements Golden Goose qui a installé ses premiers "Forward Store" à Milan et New York. Ce concept retail innovant, conçu pour allonger le cycle de vie des produits, rappelle l'atmosphère de l'atelier d'un artisan avec toutes les machines nécessaires au travail du cordonnier et des outils utilisés pour personnaliser les chaussures mais surtout les réparer et prolonger leur durée de vie.

Car c’est surtout du côté de la sneaker que le marché offre de très beaux débouchés. Avec plus de 91 milliards d’euros de baskets vendues dans le monde en 2021, en France, les ventes frôlent les 3 milliards d’euros, avec un taux de croissance de 8%, depuis trois ans. Au point que la sneaker représente désormais 60% du marché du soulier, d’après la Fédération française de la chaussure. 

“Tout l’enjeu actuel est la réparabilité afin d’épargner des paires, souligne Jean-Pierre Verneau, Président de la Fédération Française de la cordonnerie multiservice. C’est pour cela que nous nous sommes manifestés auprès de Refashion pour mettre en place un fonds de réparation. Et surtout désormais nous avons les colles et les process pour pouvoir réparer toutes les baskets. Nous pouvons changer une semelle complète que celle-ci soit lisse ou à crampons. On peut même les alléger et rendre une paire antidérapante.".


L'atelier cordonnerie dans la boutique Veja à Berlin.


Pionnière, la griffe Veja communique actuellement sur le fait que: "les baskets les plus écologiques sont celles que l’on porte déjà.”. Une idée qui est à l’origine du projet «Nettoyer, Réparer, Collecter» lancé en juin 2020. Son objectif est de proposer aux clients de nettoyer et réparer leurs paires de baskets et chaussures pour prolonger leur durée de vie, ou de les collecter pour les recycler si elles ne sont pas réparables. Le concept a permis la mise sur pied de 4 cordonneries (au sein de Darwin à Bordeaux en juin 2020, aux Galeries Lafayette Haussmann à Paris depuis juillet 2021, au sein du Veja store à Berlin ouvert il y a peu et enfin depuis l’été dernier au sein de l’entrepôt Log’Ins en Seine-et-Marne (77) d’où sont expédiées les commandes en ligne de Veja et où sont réparées plus de 860 paires de Veja par mois en moyenne.
  
Enfin sur le segment plus pointu des chaussures de randonnée, la réparabilité est également d’actualité. Ainsi, la marque allemande Lowa (qui fête ses 100 ans cette année) a créé un réseau de cordonniers partenaires. Celle qui conçoit des modèles fait pour durer et résister à toutes les épreuves vise à repousser la fin de vie de ses produits. “De la conception à la réparation, qui suit un cahier des charges précis et exigeant, l’objectif de durabilité des produits Lowa s’inscrit dans une logique de consommer mieux pour consommer moins”, explique la marque. Avec un bon nombre de procédés encore réalisés à la main lors de la fabrication, les gammes Trekking et Alpinisme proposent une réparabilité totale (ressemelage, réparation d’une doublure cuir et/ou Gore-Tex ou des pare-pierre, changement des crochets…).


Entretien et réparation d'une paire de chaussures Lowa. Photo : ©Richard Kienberger.


“Aujourd’hui, il est possible de réparer tout type de chaussures tout dépend de son prix de départ, souligne Jean-Pierre Verneau, Président de la Fédération Française de la Cordonnerie Multiservice. Pour autant, la profession fait face à deux enjeux de taille: d’abord la formation. D’ici à 5 ans, 500 à 600 cordonniers vont fermer pour cause de départ en retraite même s’ils sont rentables et personne ne prendra la suite. Enfin, la communication envers notre métier doit évoluer. On nous colle bien volontiers une image trop vieillotte alors que notre métier a évolué et que les boutiques sont propres et lumineuses.".

D’ailleurs prochainement la profession devrait être labellisée. De quoi tirer le métier de cordonnier vers le haut et d’en faire un savoir-faire reconnu, porteur de valeurs fortes.

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