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Au Bangladesh, les ouvriers "vieillissent" les jeans et crachent du sang

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12 oct. 2011

dacca, 12 oct 2011 (AFP) - Après trois années passées à "vieillir" les jeans, en projetant de très fines particules sur le tissu, Suman Howlader vomit du sang, dans un hôpital de Dacca: comme lui, des milliers d'ouvriers au Bangladesh payent le prix fort d'une mode de plus en plus contestée.


Campagne Stop au Sablage !

Howlader est secoué par une toux permanente et peine pour retrouver sa respiration. "Un jour, alors que je travaillais, le sang a jailli de ma bouche et de mon nez", raconte-t-il à l'AFP.

"Ils m'avaient dit que le travail était sans danger, mais le sablage continu remplissait la pièce de sable et de poussière et je finissais par en respirer et en avaler beaucoup", dit-il. Pendant 10 heures chaque jour, il "vieillissait" 200 à 300 paires avec pour seule protection un masque en tissu.

Selon les groupes de défense des travailleurs, lui comme nombre d'autres ouvriers souffrent de silicose, une affection pulmonaire potentiellement mortelle provoquée par l'inhalation des poussières de silice dégagées durant le sablage.

Cette opération consiste à projeter du sable à haute pression sur les jeans afin de leur donner un aspect usé, rapé, prématurément vieilli, une mode en vogue depuis plusieurs années dans les pays occidentaux, où ils peuvent se vendre jusqu'à 300 euros.

De grandes marques (Gucci, Levi's, H&M ou encore Gap) ont indiqué qu'elles arrêtaient de commercialiser ce type de jeans. En juillet, Versace s'était engagé à ne plus avoir recours à ce procédé, après une campagne menée par Clean Clothes Campaign, une alliance d'associations et de syndicats. Dolce & Gabbana refuse d'y renoncer en revanche.

Le procédé est interdit en Europe et aux Etats-Unis, mais pas au Bangladesh, où la main d'oeuvre est très bon marché.

"Le sablage est très répandu ici", déclare Kalpana Akhter, du Centre de solidarité des travailleurs au Bangladesh. "Les médecins ne cherchent pas en général les symptômes de la silicose. Ils parlent le plus souvent de tuberculose".

Et comme la plupart des usines bangladeshi n'ont pas d'assurance-santé, les ouvriers qui tombent malade retournent dans leur village, dans un état physique épouvantable, ajoute-t-elle.

Selon Khorshed Alam, à la tête d'un groupe de défense des droits des travailleurs, quelque 500 usines utilisent ce procédé, mettant en danger la vie de dizaines de milliers d'ouvriers.

Beaucoup de grosses usines sont parfaitement au courant des risques du sablage et décident donc de sous-traiter le procédé à des unités plus petites, ajoute-t-il.

Mais le salaire est alléchant --7.500 taka (74 euros), soit le double du salaire minimum-- et les candidats toujours nombreux, dans ce pays très pauvre.

"Dans certaines usines, ils ont un équipement pour protéger du sable. Mais ici, nous utilisons un (masque de) tissu et on ne peut pas échapper au sable. Il faut s'y habituer", explique Mohammed Ilias, 21 ans, venu du nord du pays pour travailler à l'usine.

"Boire beaucoup d'eau et manger une banane par jour m'aident à rester en bonne santé. Ca ne me gêne pas d'inhaler du sable tant que le salaire est bon", ajoute le jeune homme.

"Nous sommes encore un PMD ("pays le moins développé"). S'il vous plaît, ne vous imaginez pas que c'est comme en Suisse ici", déclare Shafiul Islam Mohiuddin, directeur de l'Association des producteurs et des exportateurs de vêtements, qui estime peu probable une interdiction nationale.

C'est le genre de raisonnement que déplore Ineke Zeldenrust, porte-parole de la Clean Cloth Campaign.

"Nous craignons pour le Bangladesh un scénario semblable à la Turquie", où des dizaines d'ouvriers --dont des adolescents-- sont morts de la silicose, avant que l'opinion publique réclame l'interdiction de ce procédé, effective en 2009.

Mais Asma, une jeune patiente à l'hôpital de Dacca, dit qu'elle n'a pas le choix. "La maladie a mangé mes économies. Si je ne travaille pas, je ne peux pas me payer à manger", soupire la jeune femme de 25 ans.

Par Shafiq ALAM

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