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​Yohann Petiot (Alliance du commerce) : "La lutte se fait maintenant entre pure players et acteurs de l'omnicanal"

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15 mars 2018

De l’ouverture des commerces le dimanche à la réforme des soldes en passant par la redynamisation des centres-villes, la place des ventes en ligne et la formation des vendeurs, le nouveau directeur général de l’Alliance du commerce, Yohann Petiot, évoque pour FashionNetwork.com les grands enjeux actuels du secteur. La fédération qu'il dirige depuis novembre 2017 compte 450 enseignes membres spécialisées dans le secteur de l'équipement de la personne, parmi lesquelles Galeries Lafayette, Printemps, Bon Marché, Monoprix, Etam, Camaïeu, Damart, Uniqlo et Gap. Elle représente 26 000 points de vente et 200 000 salariés en France pour un chiffre d’affaires consolidé de 32 milliards d’euros.


Yohann Petiot - Alliance du Commerce


FashionNetwork : L’Alliance du commerce lance la formation "Top Vendeur". Pourquoi cette initiative ?

Yohann Petiot : Cela part d’une demande des enseignes, face à la nécessité de s’adapter. L’idée est de proposer aux vendeurs un module en six parties, dont quatre qui les sensibilisent aux outils digitaux. Cela évoque les nouveaux outils de vente, le rôle des réseaux sociaux ou les nouveaux processus d’achat. Sont également abordées les questions interculturelles, notamment dans le cadre de l’accueil de clients étrangers. Il y a par ailleurs tout un volet RSE pour sensibiliser les vendeurs aux nouvelles attentes des clients en matière sociale et environnementale. On entend souvent que le client est mieux informé. L’idée est donc de redonner une force au vendeur face à ces clients, devenus plus exigeants.

FNW : Il y a bientôt un an, l’Alliance interpellait Emmanuel Macron concernant la vente en ligne. Quelle est votre perception de cet enjeu ?

YP : Il y a une réalité qui est que toutes les enseignes deviennent omnicanales. Les clients veulent acheter chez eux ou à l’extérieur, soir et week-end compris. La frontière n’existe plus. Le parcours est toujours plus fluide pour le client. Et on voit de grandes enseignes se renforcer par des acquisitions, comme Monoprix ou les Galeries Lafayette. Et Amazon qui fait le chemin en sens inverse en cherchant des points de transformation physique (lire notre article "Distributeurs physiques et pure players : l'heure de la convergence"). Nous avions sur ce terrain communiqué concernant l’emploi. La force d’Amazon est de créer d’un coup plusieurs milliers d’emplois. Mais, pour le même chiffre d’affaires, on crée 3 à 5 fois plus d’emplois dans le physique que sur le web. Et ce sont des emplois à plus forte valeur ajoutée en magasins qu’en entrepôts.

FNW : Attendez-vous des évolutions sur le plan fiscal ?

YP : Je pense que le gouvernement en a conscience. Cela bouge au niveau européen avec ce projet de taxe sur le chiffre d’affaires, et non plus sur les bénéfices. C’est un premier pas. La question d’égalité concurrentielle se joue aussi beaucoup sur la fiscalité locale. Aujourd’hui, la fiscalité locale pèse sur les résultats du acteurs du commerce physique, ce qui n’est pas le cas des pure players. Nous sommes un peu entendus par le gouvernement qui va lancer une mission sur la fiscalité locale des entreprises. L’occasion, pour nous, de remettre à plat ces sujets. Ces travaux devraient aboutir avant l’été, en vue du prochain projet de loi de finance.

FNW : Le Sénat a voulu introduire une taxation des entrepôts, pour équilibrer les choses. Une erreur selon vous ?

YP : Tous les acteurs sont omnicanaux. Cette mesure revenait à taxer les pure players, mais aussi les acteurs physiques qui ont tous aujourd’hui un entrepôt. Et on va en outre de plus en plus vers des stocks communs. Au départ, les stocks pour les ventes physiques et en ligne étaient distincts. Les ventes en ligne peuvent même porter sur un stock en magasin. Cette proposition partait d’une bonne idée, mais ce n’est pas la bonne solution. Car on touchait, au passage, à des commerces physiques en pleine transformation.

FNW : Outre la lutte commerce physique/en ligne, il y a l’opposition centre-ville/périphérie…

YP : Pour moi, avant de se faire entre centre-ville et périphérie, la lutte se fait entre pure players et acteurs de l'omnicanal. Car tous les magasins de périphérie ou de centre-ville ont souffert de la croissance du e-commerce et du changement des modes de consommation. Je pense que c’est un point essentiel avant toute discussion. Ensuite, il y a effectivement dans certaines villes de tailles moyennes des situations qui font que le commerce en centre-ville a particulièrement souffert, plus qu’en périphérie.

FNW : Comment avez-vous accueilli les mesures annoncées par le gouvernement en décembre dernier pour redynamiser les centres-villes français ?

YP : Nous les avons accueillies favorablement, car elles marquent une prise de conscience du gouvernement. Nous sommes plutôt favorables aux mesures présentées. Par contre, nous trouvons que cela ne va pas assez loin dans le nombre de villes concernées. Les ORT (opérations de revitalisation du territoire, ndlr) ont visé une vingtaine de villes pas an. Il faudra des années pour revitaliser un centre-ville. Et, pendant ce temps, on va laisser ceux étant aujourd’hui dans un bon état relatif se paupériser davantage. Nous souhaiterions que les mesures avancées puissent s’appliquer à la demande sur d’autres villes, où les élus veulent aussi la mise en place de mesures de simplification ou des allègements fiscaux. Nous avons été entendus en janvier par M. Marcon dans le cadre de la mission ministérielle sur ce sujet.

FNW : Une autre annonce récente a été le raccourcissement de la période des soldes, et le projet d’un second Black Friday, au printemps. Qu’en pensez-vous ?

YP : Le retour à quatre semaines est assez unanimement salué. Les soldes ont été particulièrement mauvais, notamment à cause d'un Black Friday particulièrement suivi. Beaucoup de nos enseignes qui ne le faisaient pas s’y sont cette fois-ci prêtées. Elles en sont plutôt contentes, mais cela a totalement asphyxié le mois de décembre et les soldes de janvier. L’idée est donc de faire plus court pour redonner de la force aux soldes. Concernant le Black Friday, nous ne sommes pas favorables à un nouvel événement au printemps qui soit centré sur les baisses de prix. Un produit sur deux est aujourd’hui vendu en soldes. Les enseignes n’arrivent plus à faire de marges alors qu’elles doivent investir pour transformer leur modèle. Le cercle vicieux ne peut pas aller plus loin. Par contre, nous sommes pour une fête du commerce qui valoriserait les produits, la création et les services en magasins. On peut imager plein de choses sans parler de prix.

FNW : L’ouverture du dimanche, dont le gouvernement a récemment reparlé, reste un enjeu important, pour l’Alliance du commerce ?

YP : Oui, l’un de nos grands sujets est la possibilité pour le commerce alimentaire de pouvoir ouvrir le dimanche après 13h. Il y a des luttes politiques à Paris, mais on voit que cela a donné un vrai relais de croissance pour les enseignes qui s’y sont prêtées, notamment là où y a des flux importants. Le problème des ZTI (zones touristiques internationales, ndlr) est que cela crée des frontières, pas toujours claires pour le client. Nous serions favorables suivre le modèle de Bordeaux, où toute la ville est classée zone touristique. Tous les commerçants peuvent ouvrir s’ils jugent cela pertinent. Il y a des quartiers où il n’y a aucun intérêt à ouvrir. Cela s’autorégule de manière naturelle. La peur d’une ouverture généralisée et infondée.

FNW : Echangez-vous avec l’exécutif sur ce sujet ?

YP : Nous remettons le sujet sur la table à chaque rencontre avec Bercy. Car il y a une évolution qui entre en jeu : les premiers commerces alimentaires sans caisses sont lancés. D’autres acteurs et secteurs y pensent. Nous verrons sans doute rapidement de nouveaux formats apparaître, sans une seule caisse, et qui ouvriront le soir et le dimanche. Gouvernement et enseignes seront face à un dilemme : investir massivement dans ces technologies ou créer de l’emploi en élargissant les horaires. Cette évolution va se déployer et il y a un enjeu de société et d’emploi qui n’est pas nul.
 

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