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Les artisans syriens privés de laine

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7 nov. 2016

(AFP) Derrière son métier à tisser, le Syrien Abou Mohammad fait danser sa navette avec virtuosité, alignant les épais fils rouge, noir et blanc pour fabriquer un dernier morceau de tapisserie traditionnelle arabe. Mais son atelier, le seul encore ouvert à Ariha (nord-ouest de la Syrie) malgré la guerre, va devoir fermer.


L'atelier à Ariha, le 12 octobre 2016 non loin d'Alep, où des tisserands fabriquent des tapisseries traditionnelles arabes - O. HAJ KADOUR / AFP


"La profession est morte. C'est notre dernier jour de travail, nous n'avons plus de fil", se lamente ce quinquagénaire, penché sur son ouvrage, les pieds actionnant le pédalier, pour fabriquer l'épais tissu utilisé pour confectionner tapis, tentures murales et traditionnels salons arabes et bédouins.

"Nous ne pouvons plus nous approvisionner dans la partie est d'Alep. Les routes sont coupées, la ville est assiégée, personne ne peut nous envoyer quoi que ce soit", déplore ce contremaître à Ariha, une ville située à 70 km d'Alep et réputée pour cet artisanat.

Comme les deux ouvriers qu'il supervise, Abou Mohammad a commencé à tisser lorsqu'il était adolescent, héritant le métier de son père et de son grand-père. "C'est tout ce qui nous reste", lâche-t-il, exhibant une boîte contenant une dizaine de bobines de laine acrylique de couleur.

Le cliquetis du battant et le grincement des pédales emplissent la pièce aux murs blancs dénudés tandis qu'Abou Mohammad accompagne son travail d'un chant aux accents mélancoliques. Les trois hommes s'interrompent pour boire ensemble leur thé, assis sur un canapé vétuste.

Trois machines en activité

Ancienne capitale économique de Syrie, Alep a longtemps été renommée pour son artisanat textile, célèbre à travers le monde arabe et au-delà. Aujourd'hui divisée entre secteurs tenus par le régime de Bachar al-Assad et quartiers rebelles assiégés, la deuxième ville du pays est ruinée. Et les ateliers d'Ariha, non loin de là, ne peuvent plus se procurer la laine acrylique nécessaire.

Avant la guerre déclenchée en 2011, "il y avait plus de 100 métiers à tisser" dans la région d'Ariha. "Aujourd'hui, il n'y a plus que ceux qui sont dans cet atelier", lâche-t-il, montrant les cinq machines autour de lui, dont seulement trois sont encore en activité.

La localité, située dans la province d'Idleb, est tenue par Jaich al-Fatah, une coalition regroupant des rebelles islamistes et des jihadistes de Fateh al-Cham. "On fabrique tout ce qu'il faut pour la maison. Des tapis pour les chambres, des pochettes de Coran, des houses de coussins, des tapisseries pour les murs et les chaises... On pourrait meubler une maison entière", ajoute-t-il.

Frais énormes

L'artisan peut certes encore acheter ces fils dans les quartiers ouest d'Alep, contrôlés par le régime, mais les tarifs sont bien plus chers que ceux des quartiers est. "Avant la guerre, c'était un commerce florissant", se souvient le tisserand, précisant qu'il achetait les fils "pour une bouchée de pain à Alep". Mais aujourd'hui, le kilo de Dralon, une fibre synthétique polyacrylique, coûte 3 500 livres syriennes (16 dollars), contre 175 livres seulement (0,82 dollar) par le passé.

Confronté à la crise économique qui mine la Syrie, son collègue Abou Moustafa, initié au métier à l'âge de 12 ans, a pris la route de l'exil et a multiplié les petits boulots. "Je suis allé au Liban, j'y ai travaillé dans le bâtiment, et j'ai passé plusieurs mois en Turquie", confie le tisserand de quarante ans, battant les pédales de sa machine. "Mais je n'ai pas pu rester loin du métier à tisser."

Après le début du conflit, les artisans arrivaient encore à vendre leurs marchandises dans les zones tenues par le régime, à Damas ou encore à Hama, dans le centre de la Syrie, voire à les exporter au Liban et en Arabie saoudite.

"Notre marchandise partait à dix heures du matin et arrivait à midi à Damas", se souvient Abou Mohammad. Mais avec l'intensification des violences, il faut maintenant deux ou trois mois pour transporter les produits et les frais sont énormes. "On pourrait faire travailler 100 métiers à tisser si on avait les fils", ajoute-t-il. "C'est triste d'en arriver à ça, la fin de ceux qui font ce métier."

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