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15 mars 2018
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Chine : le textile durable attend son heure

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15 mars 2018

A l'heure où les fabricants asiatiques ont multiplié les productions éco-conçues pour plaire aux marques occidentales, l'intérêt des consommateurs chinois pour une mode durable commence à peine à se dessiner, selon les fabricants engagées dans cette démarche et présents au salon Intertextile, qui se tient à Shanghai jusqu'à ce vendredi 16 mars.


La Chine entend développer sa production écoresponsable pour ses clients internationaux mais aussi pour son marché local. - AFP


Lancée en 2003 et aujourd'hui fournisseur de marques comme Helly Hansen, Aigle ou Peak Performance, la société Paltex n'a ainsi commencé que récemment à produire pour quelques marques chinoises. Un changement notable, les tissus en polyamide et polyester à base de filets de pêches et bouteilles plastique recyclées réalisés par l'entreprise ne transitaient jusque-là par l'Empire du Milieu que dans le cadre de confections destinées aux marchés européens et, dans une moindre mesure, américains.

« Il y a une conscience écologique en Allemagne, en Suède ou en Norvège, que l'on ne retrouve par encore chez les consommateurs chinois, explique ainsi William Lin, directeur commercial du fabricant taïwanais. Mais, pas à pas, cela en prend le chemin. Nous travaillons déjà avec quelques marques chinoises, mais c'est progressif. De notre côté, nous continuons à investir dans des machines plus performantes et responsables car cela représente un débouché en devenir ».

Un optimiste justifié, mais sur le long terme, selon le directeur sourcing d'une marque chinoise basée à Pékin, demandant à ne pas être cité. Il faut dire que le sujet de l'environnement devient sensible dans le pays. «  Le gouvernement commence à prendre des mesures pour encadrer la production du secteur industriel, ce qui pose la question d'une répercussion des coûts, soupire le responsable. En face, nous avons des consommateurs dont les habitudes de consommation sont encore jeunes, et qui refusaient encore il y a peu d'acheter des marques chinoises. Personne ne croit au fait qu'ils paieront plus pour être écologiques. En tout cas, pas tout de suite ».

Et pourtant, le terrain serait propice. Bien qu'affichant un rythme moindre depuis 2012, la demande chinoise d'habillement devrait encore cette année croître de près de 10 %, pour s'établir à environ 130 milliards de dollars, selon les projections de l'American Apparel & Footwear Association (AAFA). Et si les données manquent, l'étude de 2016 réalisée sur la consommation responsable par le Cotton International Council indiquait que 62 % de la classe moyenne chinoise serait prête, à prix égal, à rechercher des vêtements plus responsables. Un chiffre de poids sachant que, de 140 millions, cette fameuse classe moyenne chinoise pourrait atteindre les 480 millions d'individus en 2030.

« L'intérêt des marques locales pour le durable commencent vraiment à se faire sentir, là où ce n'était pas le cas il y a seulement trois ans », indique avec son regard extérieur Ömer Murat Sözeri. Directeur des ventes du denimier turc Orta, ce dernier explique que son entreprise réalise désormais 10 % de ses ventes en volume auprès de marques chinoises et bien plus en valeur, du fait d'une concurrence locale plus forte sur les jeans responsables. « Maintenant, les marques chinoises nous demandent très clairement des productions en tissus recyclés, en coton BCI, des produits eco-friendly... Ils achètent plus cher et répercutent le prix ensuite sur le client. Ils peuvent se le permettre car certaines marques ont en Chine des réseaux plus denses que ceux des gros acteurs européens comme Zara ou H&M ».

Face à cette évolution de la demande domestique, les fabricants asiatiques ne veulent pas refaire la même erreur que dans les années 2000, lorsque la demande de sourcing "alternatif" avait décollé en Europe, prenant de court les filières asiatiques, converties au pas de charge. Le dernier signe en date de cette mobilisation : dix leaders chinois de la production de viscose et deux associations commerciales, cumulant plus de la moitié de la production mondiale de viscose, lancent ce 15 mars 2018 le projet "Collaboration for Sustainable Development of Viscose" ou CV.

« L'objectif est de faire faire évoluer les standards de production au sein de la filière, explique le porte-parole Zhang Zixin, responsable de la China Chemical Fiber Association, qui prend part au projet. Cela part du constat d'une prise de conscience de la part de nos clients sur les questions de durabilité. Ce n'est pas un programme que nous créons juste pour nous-mêmes, ou pour qu'il ne soit que chinois. L'idée est que nous pouvons apprendre des autres et que, si nous arrivons à augmenter la qualité de notre produit, nous allons au passage renforcer nos parts de marché ».

« Si vous voulez devenir fort, il faut faire en sorte que les gens respectent votre industrie, nous résume Chen Dapeng, vice-président de la National Garment Association, organisatrice du salon Chic. Or notre secteur est très lié à la fois aux consommateurs et aux questions d'environnement de par sa production. Plus les consommateurs deviennent expérimentés, confiants, plus ils se mettent à étudier de près leurs achats. C'est là qu'intervient notre capacité à offrir des choses dont ils ont besoin et qui correspondent à leurs attentes, tant en termes de créations que de valeur ».


Table-ronde réunissant les représentants de plusieurs labels éco-responsables sur le salon Yarn Expo à Shanghai le 15 mars 2018 - Matthieu Guinebault/FashionNetwork


Car la volonté d'aller vers le durable répond également, voire surtout, à des enjeux stratégiques. La hausse des salaires décidée par Pékin dans les années 2000 avait poussé les productions textiles d'entrée de gamme vers les pays voisins, les fabricants chinois entamant pour leur part une montée en gamme nécessaire à leur équilibre financier.

Une évolution qui a eu pour effet de renforcer une concurrence déjà notable sur le milieu de gamme, rendant essentiel tout facteur de différenciation. De quoi imposer progressivement le durable comme l'une des solutions les plus évidentes, dans une ex-usine du monde où la question de la pollution devient un enjeu d'importance.
 

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